Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

projet mûrement médité et pratique allant droit au but. M. Gladstone s’est présenté enfin l’autre jour à la chambre des communes, et pendant trois heures ce vieillard de quatre-vingt-trois ans a exposé ses idées, ses combinaisons en maître de la parole, sans fatigue apparente, avec autant de vigueur que de clarté. Il était entré à Westminster escorté par les ovations populaires. À peine entré dans la chambre ; il a été naturellement entouré des acclamations de ses amis avant même qu’il eût parlé ; l’opposition, quelle que fût son impatience, l’a écouté sans se livrer à des manifestations trop bruyantes, et au demeurant la première impression n’a pas paru défavorable. Il y avait certainement quelque chose d’imposant dans ce grand vieillard à la parole toujours éloquente, plaçant les communes d’Angleterre entre les dangereuses iniquités d’une politique de coercition désormais impuissante et la réalisation des promesses libérales faites à l’Irlande.

Qu’est-ce en définitive que ce bill destiné, comme le disait déjà le discours de la reine et comme l’a répété le premier ministre, à « améliorer le gouvernement de l’Irlande ? » C’est assurément l’œuvre ingénieuse et savante d’un esprit réfléchi qui s’est étudié à tout concilier, à préparer son nouveau projet en s’éclairant de l’expérience malheureuse de 1886. M. Gladstone, on le sent et on le voit, a mis tout son art à désarmer les critiques, à organiser l’autonomie irlandaise, sans affaiblir le lien qui rattache l’île-sœur au royaume-uni, à l’empire britannique. Tout est prévu, habilement combiné. Ainsi l’Irlande n’aurait plus, comme elle l’aurait eu par le projet de 1886, une assemblée unique qui pourrait devenir un parlement d’agitation sans contrôle et sans frein ; elle aurait deux assemblées, dont l’une représenterait l’élément conservateur, les propriétaires, les minorités protestantes. Elle aurait de plus à Dublin un vice-roi qui pourrait être un catholique, qui serait nommé pour six ans par la reine et serait armé d’un droit de veto. Tout ce qui regarde l’Irlande et les Irlandais serait traité et décidé entre Irlandais, dans le parlement irlandais. D’un autre côté, cela va sans dire, l’Irlande resterait rattachée à l’empire pour tout ce qui touche à la couronne, à la diplomatie, a l’armée, à la marine, aux postes, aux services nationaux. Elle contribuerait aux dépenses générales par les douanes, dont le gouvernement disposerait. Il y aurait de plus, au-dessus du droit spécial de veto exercé par le vice-roi, un droit supérieur maintenu pour les circonstances graves à la couronne et au parlement britannique. Enfin les Irlandais continueraient à être représentés à Westminster ; seulement ils n’auraient plus que 80 représentans au lieu de 103, et de plus, ils n’auraient pas le droit de voter dans les questions qui n’intéressent que l’Angleterre proprement dite. C’est tout un ensemble constitutionnel adroitement combiné, assez compliqué néanmoins, conçu de façon à tracer une