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Le grand défaut de cet opéra-comique est le livret, banale copie et réduction insignifiante de Lakmé. Tout y est, depuis le contraste, qui veut être « piquant, » entre les uniformes et les costumes exotiques, jusqu’à la chanson brillante, de rigueur pour la « mousmé » comme pour la « fille des parias. » Il n’y manque que les clochettes. Et puis la note comique est donnée ici par une sorte d’entremetteur japonais, vêtu d’un « complet » à carreaux, abondant en grimaces et singeries, et parfaitement insupportable. Enfin et surtout on est peut-être un peu fatigué, par la faute de M. Loti lui-même, des amourettes tropicales, des hymens de couleur et des officiers de marine mariés pour une saison à de petites sauvagesses.

Quant au musicien, déclarer comme d’aucuns l’ont fait, qu’il a créé le type de la comédie musicale, c’est aller loin, sans compter que le type, ou des types de ce genre préexistaient peut-être à Madame Chrysanthème. Au contraire, on peut justement regretter que M. Messager n’ait pas été assez créateur, non pas d’un type, mais tout simplement de formes musicales, je veux dire de rythmes et de timbres. Sa partition ne manque ni de finesse ni d’élégance, mais de couleur et d’originalité. A. l’entendre les yeux fermés, on se croirait en Normandie ou en Bourgogne, aussi bien qu’au Japon. J’aurais souhaité dans les timbres encore une fois, et les rythmes surtout, quelque chose de mieux caractérisé, quelque chose qui tinte et qui brille, je ne sais quelle sensation de laque et de porcelaine, et tenez, de plus nombreux passages pareils à certaine phrase dite au premier acte par Chrysanthème : C’est à Yeddo, près du palais du Mikado, que je reçus le jour et fus abandonnée. Rien que dans ces quelques mesures pimpantes, d’un esprit et d’une grâce à demi enfantines, il y a plus de saveur que dans le reste de l’ouvrage ; cela sent le regard bridé de petits yeux noirs et l’allure de petits pieds trotte-menu. Cette petitesse, d’ailleurs, qui manque trop au décor, au milieu musical, ne fait pas entièrement défaut aux personnages, à leurs sentimens, je ne veux pas dire à leurs passions. Ainsi le rôle entier de Chrysanthème garde assez heureusement des proportions de miniature. J’aime, par exemple, que, dans le joli duo du second acte, elle ne réponde aux transports de Pierre que par les refrains gracieux, mais à peine émus, d’une chanson. J’aime qu’une vie légère, une vie de fleur, anime à peine, et sans la troubler, cette mignonne figure de paravent ou d’éventail, en qui le musicien a su ne rien exagérer, ni l’amour, ni la douleur.

Et j’aime encore d’autres choses dans l’œuvre de M. Messager : le prologue avec le chant du gabier, avec le chant du lieutenant rêvant à la lointaine Bretagne et au Japon prochain, double rêverie et doublement charmante. Le second acte est joli tout entier, depuis la prière à demi sincère, à demi comique, de Mme Prune devant Bouddha,