contre les gens de théâtre même, je ne dis pas contre cette interprétation, mais contre toute interprétation, il m’a semblé que dans une œuvre aussi vraie, aussi simple, aussi pure, je ne sais quoi de mystérieux et d’auguste protestait. Elles répugnent au moindre mensonge, fût-ce celui du talent, aux attitudes étudiées, au maquillage, elles voudraient presque de vraies larmes, de vrais désespoirs, comme de vrais paysages, ces grandes choses sincères, et ces belles paroles primitives, des lèvres peintes n’auraient jamais dû les prononcer. Représenter Pêcheur d’Islande, c’était forcément le profaner ; il fallait respecter dans l’asile, dans le sanctuaire du livre, ce poème de deux infinis : la mer et la douleur.
Les artistes pourtant ont fait de leur mieux et ce mieux est bien ; Mlle Dufrêne seule a montré dans le rôle de Gaud un peu d’afféterie et d’apprêt. Mais M. Guitry, avec la carrure de Yann, en a la rudesse à demi sauvage. Le farouche pêcheur m’a rappelé le chasseur antique, l’Hippolyte d’Euripide, et l’amoureux de la mer ressemble à l’amoureux de la forêt. Enfin Mme Marie Laurent a été admirable quand « avec son chevrotement de vieillesse, comme un pauvre écho fêlé redirait une phrase indifférente, » elle a murmuré ces simples mots : « Mon petit-fils qui est mort ! » et que, croisant, comme dit encore M. Loti, ses mains gercées de laveuse, elle a, du bout de ses pauvres vieilles lèvres, récité le Poster noster.
Quelques morceaux de musique accompagnent le drame. Le plus laid est certainement celui qui précède le tableau du bateau. Pauvre pays de Bretagne, où l’on chante pourtant de si jolies chansons ! Feuilletez le recueil de M. Bourgault-Ducoudray ; c’est le meilleur moyen d’oublier les entr’actes symphoniques de M. Guy Ropartz.
Que l’art ou le métier du théâtre ait tenté M. Loti, soit ; c’était l’inconnu pour ce voyageur. Mais que les coulisses (et quelles coulisses ! ) aient séduit M. Lemaître, qui les connaît, on peut s’en étonner. Car, il n’y a pas à dire, ils l’ont séduit, les cabotins ; ils ont pris toute son attention, et même, je le crains, un peu de ses sympathies. Il a beau les fustiger, il y va de main morte ; on sent qu’il leur pardonne, on prend même peur qu’il ne les aime, à le voir s’occuper et s’amuser d’eux avec cette complaisance. Complaisance indigne de lui. Que vous ou moi nous eussions fait Flipole, rien de mieux, et nous pourrions nous en vanter ; mais que ce soit M. Jules Lemaître, un des plus rares esprits d’aujourd’hui, j’avoue que je le regrette un peu. « Veux-tu que je te dise ma pensée ? C’est justement parce que je te place très haut que je me permets de faire des réserves sur la qualité de ton succès. » Ce que dit là Flipote à son mari, je le dirais à M. Lemaître, si j’avais l’honneur de le tutoyer.