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Mais c’est l’application de notre code forestier en Algérie qui a été le plus beau triomphe de la politique d’assimilation. M. Ferry a consacré à ce triste sujet quelques pages d’un intérêt saisissant ou navrant, qui méritent d’être méditées. En France, la forêt est une étendue plus ou moins vaste de terrain planté d’arbres à haute tige et destiné à produire du bois ; il n’est pas besoin d’avoir des yeux d’épervier pour la distinguer des champs cultivés qui l’environnent. En Algérie, la forêt comprend non-seulement les bois de futaie, « mais des terrains vagues, semés de lentisques et de palmiers nains, des maquis broussailleux qui couvrent d’immenses espaces, sans qu’on sache où finit la brousse, où commence la plaine cultivable, de nombreuses et vastes clairières, qui constituent de véritables terres de culture. » La forêt française n’a pas d’autres habitans que les gardes qui la surveillent ; la forêt du Tell et des Hauts-Plateaux est habitée par des tribus entières ; on y vit, on y meurt, on y sème, on y laboure. « C’est là que campe, depuis des siècles, une race pauvre et sobre, mi-nomade et mi-pastorale, dont les troupeaux forment la seule richesse, qui vit du lait de ses chèvres ou de ses chamelles, fabrique ses tentes avec leur poil, tisse avec la laine de ses moutons les guenilles pittoresques dont elle couvre sa misère. »

Ce peuple de pasteurs, qu’on peut évaluer à 6 ou 700,000 âmes, a dans la forêt des douars, des gourbis, des mosquées, des cimetières. C’est dans la forêt qu’il trouve des sources d’eau vive, qu’en été, il procure au bétail un abri contre la chaleur, en hiver contre le froid et en tout temps le pâturage. L’Algérie, comme on l’a dit, est un pays d’agriculture pastorale et de transhumance. — « Elle est ainsi par la nature même des choses, et ce n’est ni le code forestier, ni l’administration parisienne, élevée à l’École de Nancy, qui lui ôteront ce caractère. » — Mais les Écoles d’État n’admettent pas qu’il y ait dans ce monde deux sortes de forêts et deux manières de les administrer ; la loi écrite est leur évangile, leur coran, et l’École de Nancy décida qu’on appliquerait en Afrique un code qui n’y est applicable qu’à la condition de le fausser par des interprétations complaisantes. Quand la loi est absurde, il faut recourir à la casuistique ; mais en matière d’eaux et de forêts, si relâchés que soient les casuistes, ils mêlent à leur indulgence d’âpres sévérités qui révoltent et consternent les Arabes.

L’article 78 de ce code universel et sacré interdit à tous usagers de conduire ou de faire conduire des chèvres, brebis ou moutons dans les forêts ou sur les terrains qui en dépendent. Il a fallu, le cœur saignant, faire du pacage des moutons la règle générale de tout le territoire. En revanche, d’autres dispositions ont été rigoureusement maintenues. Les articles 68 et 69 portent que les bestiaux admis au pâturage et au panage seront comptés ; qui se chargera de faire ce compte en Algérie ? L’article 71 porte que les chemins par où pourront passeras bestiaux