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affaires ; ils n’ont réussi qu’à organiser l’anarchie « en noyant les affaires algériennes dans les dossiers de neuf ministères, qui n’ont entre eux ni rapports obligatoires, ni unité de vues. » M. Jonnart n’avait-il pas raison de dire à la chambre que ces bureaux, éparpillés aux quatre coins de Paris, avaient la prétention plaisante de gouverner l’Algérie comme ils gouvernent la Picardie ou la Bretagne, que la plupart des fonctionnaires qui les composent n’ont appris à connaître la colonie que dans les bazars de nos expositions, ou dans les descriptions des poètes et des romanciers, « que souvent leurs efforts se contrarient, leurs résolutions se contredisent et que les responsabilités émiettées, réduites en poussière, deviennent introuvables ? »

Il constatait encore qu’on s’entend aussi peu à Alger qu’à Paris, que le procureur-général, le recteur de l’Académie, le conservateur des forêts, d’autres chefs de service vivent à côté du gouverneur-général sans le connaître, n’ont rien à lui dire, rien à lui demander, et correspondent directement avec le ministre dont ils dépendent, « de sorte que les services algériens, ajoutait-il, ressemblent fort aux étages des grandes maisons parisiennes, où les locataires ne se connaissent ni de nom, ni de vue. » — « Au lieu de s’entr’aider, on oppose pouvoir à pouvoir, compétence à compétence, et alors les conflits éclatent bruyans, nombreux, provoquant un échange de notes aigres-douces, administrativement rédigées, mais pleines de révélations piquantes et de propos malins, qui rappellent la fameuse scène de Célimène et d’Arsinoë. Et cela s’appelle la politique de l’assimilation. » Comme M. Jonnart, M. Ferry se plaint que « depuis vingt ans le conflit soit la règle des choses algériennes, » conflit de bureaux, conflit d’idées et surtout conflit d’amours-propres et d’intérêts.

La politique d’assimilation ne consiste pas seulement à transporter le gouvernement de l’Algérie à Paris, mais à déclarer avec les députés algériens que cette colonie n’en est pas une, que c’est une terre française, que partant nous devons y porter nos codes, nos lois, nos magistrats, notre procédure et nos habitudes administratives, et la vérité, comme l’a dit M. Ferry, est qu’il n’y a peut-être pas une seule de nos institutions qui puisse, sans des modifications profondes, convenir à la fois aux 272,000 Français, aux 219,000 étrangers, aux 3,267,000 indigènes établis dans notre empire algérien, et, « que même entre l’Arabe et le Kabyle, entre le Kabyle des montagnes et celui des bords de la mer, entre l’Arabe des villes, celui du Tell et le franc nomade des Hauts-Plateaux, il n’y a identité ni de mœurs, ni de besoins, ni d’origine. » Nous avons voulu appliquer aux Arabes les dispositions de la loi française, leur imposer notre code civil et la propriété individuelle, et le résultat de cette belle entreprise a été de soulever une question agraire, de jeter le trouble dans les tribus, de les livrer en pâture aux spéculateurs, aux agens d’affaires véreux.