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l’armée ne pût suffire. Les soldats exécuteraient les travaux publics et prêteraient la main aux travaux privés ; les officiers serviraient d’administrateurs et de magistrats ; le commandant en chef userait, pour le bien de tous, du personnel et des ressources dont il disposait en maître « et trouverait dans son omnipotence les moyens de résoudre promptement et facilement tous les problèmes. »

Il déclarait que la première de toutes les libertés, en Afrique, est la certitude de conserver sa tête, que c’était là un précieux avantage dont les immigrans devaient apprendre à se contenter, qu’il n’y avait que les brouillons et les hargneux qui déclamassent contre le régime du sabre. Il disait à la chambre, le 24 janvier 1845 : « Je pourrais comparer les habitans qui vivent sous le régime civil de la côte à des enfans mal élevés, et ceux qui sont dans l’intérieur, sous le régime militaire, à des enfans bien élevés. Les premiers crient, pleurent, se fâchent pour la moindre contrariété ; les autres obéissent sans mot dire. » Il se trouva que dès ce temps les colons pensaient avoir d’autres droits que celui de conserver leur tête et d’obéir sans mot dire. Le maréchal donna sa démission, le gouvernement l’accepta, et le projet de colonisation militaire fut retiré.

Le maréchal Bugeaud le prenait de haut avec les colons ; à mesure qu’ils se sont multipliés et enrichis, les colons ont obligé tout le monde à compter avec eux, et c’est pour leur complaire qu’on s’est appliqué depuis longtemps à dépouiller le gouverneur-général de ses prérogatives, à diminuer ses pouvoirs, à amoindrir son autorité. Tandis que les colonies anglaises, en prenant leur croissance, aspirent à conquérir leur autonomie, à se gouverner elles-mêmes, à s’émanciper de la tutelle de la métropole, nos colons algériens, tout au contraire, se plaisent à resserrer de plus en plus leurs liens avec la mère patrie. Ils regardent l’Algérie comme un prolongement de la terre française ; leur plus cher désir est d’habiter l’Afrique et d’y faire fortune sans que rien les avertisse qu’ils ont quitté la France.

« — Ce n’est pas le self-government, a-t-on dit, que l’Algérie, vers la fin de l’empire, inscrivait dans ses cahiers, c’est l’assimilation. Assimiler l’Algérie à la métropole, leur donner à toutes deux les mêmes institutions, le même régime législatif et politique, leur assurer les mêmes garanties, les mêmes droits, la même loi, c’est une conception simple et bien faite pour séduire l’esprit français. Elle a eu sur l’histoire de notre grande colonie une influence tour à tour bienfaisante et désastreuse. » Par un usage constant, auquel on n’a dérogé que dans ces deux dernières années, les rapporteurs du budget de l’Algérie étaient choisis parmi les députés algériens, et ces députés prenaient à tâche de démontrer « l’incapacité administrative du gouverneur-général. » C’est de là que sont nés les décrets de rattachement du 26 août 1881, en vertu desquels l’administration des divers services