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et, dans le Pacifique du Nord, leur point de convergence, leur centre de ravitaillement se trouve dans la plus haute terre polynésienne, dans l’Archipel havaïen.

Il se compose de huit îles et décrit une courbe du sud-est au nord-ouest. Sa superficie totale est de 22,070 kilomètres carrés, sa population de 96,000 âmes. Il a pour capitale Honolulu, pour souverain une reine : Lydia Liliuokalani. Il constitue un royaume autonome, indigène, indépendant jusqu’ici.

Situé à 700 lieues des côtes de l’Amérique, à 1,400 de celles de l’Asie, ce royaume est peu connu, son histoire moins encore ; elle n’était guère pour intéresser l’Europe ; il a fallu, pour éveiller son attention, l’exposition de 1889, l’étonnement avec lequel on apprit que dans cet heureux État on ne trouverait pas un homme ou une femme ne sachant lire, écrire et compter ; il a fallu la nouvelle qu’une insurrection venait d’éclater et qu’une délégation se rendait à Washington pour solliciter du congrès l’annexion aux États-Unis du royaume havaïen.

Par quel singulier concours de circonstances, cet archipel, où l’on ne compte que 2,000 résidens américains, où la population indigène est de beaucoup encore la plus nombreuse, où elle est restée indépendante et fière, soucieuse de sa liberté, attachée à ses chefs, se déclarait-il ainsi brusquement prêt à aliéner sa nationalité, à répudier ses traditions monarchiques et à devenir terre américaine, lui en qui se résumaient et se concentraient les aspirations de cette race canaque, récemment née à la civilisation et qui, sur 1,000 lieues de longueur et autant de largeur, peuple les archipels océaniens ? Comment le rêve d’une annexion, caressé depuis cinquante ans par une poignée de colons, menaçait-il de devenir une réalité ? Qu’allait dire l’Europe, qu’allaient faire les États-Unis ? À quelle cause attribuer ces événemens ? Ils sont, ainsi que les conséquences qu’ils entraînent, la résultante d’un état de choses qui vaut d’être exposé, car il éclaire tout un côté peu connu de l’histoire de cette partie du monde qui a nom l’Océanie et dans laquelle nous avons un passé, des intérêts, des devoirs et un avenir.

Avides d’air et de lumière, impatientes de germer, grandir et fleurir, certaines races, ainsi que certaines plantes tardivement écloses, se hâtent et s’efforcent de regagner le temps perdu. Celles-ci, secouant le long sommeil de l’hiver, la paresseuse somnolence du printemps, fiévreusement étalent leur frêle feuillage aux rayons incertains du soleil ; celles-là, tard venues, sorties à peine de la barbarie, réveillées de leur séculaire torpeur par le sifflement strident de la locomotive qui fuit, du bateau à vapeur qui passe, aspirent à vivre, agir et penser. La civilisation les appelle ; elles