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quelquefois dangereux, Deville parvient, dans la préparation de l’aluminium, à substituer le sodium, qu’il venait de trouver le moyen d’extraire facilement et économiquement du sel marin. En outre, au lieu de partir de l’argile, ce qui exigeait une préalable séparation de la silice et de l’aluminium, Henri Sainte-Claire Deville a l’idée d’employer directement l’alumine hydratée, dont les gisemens considérables, situés dans l’Hérault, le Var, et surtout les Bouches-du-Rhône, auprès de la petite ville de Baux, voisine d’Arles, étaient exploités, depuis assez longtemps déjà, sous le nom de bauxite, pour la fabrication de l’alun. Des dispositifs ingénieux, qu’il imagine, lui permettent d’opérer sur des quantités considérables. — Sous l’action directe du chlore, un mélange de bauxite et de sel marin devient un chlorure double de sodium et d’aluminium ; l’addition à ce mélange, porté à la température de la fusion, d’une convenable quantité de sodium, en élimine l’aluminium, qui se réunit au fond du creuset. Une nouvelle fusion débarrasse le métal de la majeure partie des impuretés, donne à ses molécules un surcroît de cohésion, permet de le couler en lingots. — Tout cela n’allait pas sans grande dépense. Le budget de l’École normale, s’il est permis d’appeler d’un nom si gros les humbles ressources dont disposait alors la science, n’aurait pu suffire longtemps aux recherches de son maître de conférences. Prévenu de la situation, l’empereur Napoléon III, qui eut quelquefois d’intelligentes munificences, ouvrit sa cassette au savant. — C’est ainsi que les nouveaux procédés sortant du laboratoire purent s’essayer dans le domaine industriel. L’année suivante, le 18 juin 1855, Jean-Baptiste Dumas présentait à l’Académie des Sciences[1] le premier lingot d’aluminium, fabriqué dans la petite usine de Javel.

  1. Henri Sainte-Claire Deville ne fut nommé membre de l’Académie des Sciences qu’en 1861, à l’âge de quarante-trois ans. Il y était attendu depuis longtemps, dit M. Jules Gay, mais il avait tenu à n’y entrer qu’après son frère, nouveau et touchant témoignage de la délicatesse des sentimens qui animaient cette nature supérieure. — L’œuvre d’Henri Sainte-Claire Deville ne se borne pas à la production de l’aluminium. À un moment où la chimie organique avait pour tant de chercheurs et de savans d’irrésistibles séductions, il resta Adèle à la chimie minérale. Il en a superbement agrandi les acquisitions. Qu’il suffise de rappeler ses beaux travaux sur les métaux réfractaires, sur le bore, le silicium, le magnésium, enfin sur le pétrole. Avec des collaborateurs dignes de lui, MM. Caron, Debray, Troost, il eut, dans la reproduction des espèces minérales, des triomphes comparables à celui que l’Académie des Sciences faisait l’autre jour à M. Moissan lorsque l’habile savant lui présenta le diamant noir sorti de ses fourneaux. Ses ingénieux appareils lui ont permis de produire le premier des températures assez élevées pour fondre le platine en grandes masses. Il a pu ainsi fournir les prototypes, inaltérables pour toujours, du mètre et du kilogramme, bases de la sécurité de toute mesure. C’est à lui, enfin, que revient l’honneur de la loi des dissociations, que J.-B. Dumas appelait « l’une des plus grandes acquisitions, non-seulement de la chimie, mais de la philosophie naturelle. »