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Ouverture d’esprit, désir d’impartialité, modération, autant d’embarras pour celui qui défend une cause. Dans une bataille, il n’y a plus à examiner de quel côté est le bon droit, mais, simplement, à frapper de son mieux. Tout ce qu’on peut demander au polémiste, c’est de ne pas se dire critique ; il n’en a pas plus le droit qu’un combattant de réclamer les droits d’un arbitre. Ce qu’on peut lui demander aussi, c’est de bien choisir sa cause ; s’il se trompe, on est en droit de lui reprocher son erreur. Or, Castagnary se déclarait critique et voulait être accepté comme tel ; il prétendait imposer sa médiation aux parties en présence. Il s’est bien battu, mais au profit d’une mauvaise cause, qu’il incarnait, par surcroît, dans un homme fort au-dessous de cet honneur, et qui n’avait besoin ni d’être imposé, ni d’être défendu. Courbet allait au-devant des refus pour s’en faire une réclame, il recherchait la persécution pour attirer les badauds, qui le suivaient partout où il lui plaisait de les conduire ; quant à ce qu’il y avait d’excellent chez lui, ses qualités de métier et de facture, tout le monde les constatait et les prisait à leur grande valeur. Il eût donc fallu le calmer au lieu de l’exciter. Castagnary fit juste le contraire. Est-ce donc que les artistes plus dignes d’être soutenus manquaient à ce moment ? N’y en avait-il pas, victimes des jurys qui les repoussaient, des critiques qui les méconnaissaient et du public qui les tournait en ridicule ? Il suffit de citer Rousseau et Millet. Pour tous deux, Castagnary, le plus souvent fort élogieux, enthousiaste même, ne leur maintient pas avec assez de constance le rang qu’ils méritaient. Il lui est arrivé d’avertir très durement le premier ; quant au second, dont la simplicité lui avait semblé d’abord très supérieure aux déclamations socialistes de Courbet, il semble que son « idéalisme, » comme aussi sa « raideur byzantine » lui aient souvent déplu. Ainsi, ce chercheur d’originalité la voyait où elle n’était pas et ne la voyait pas assez où elle était.

Je tiens pourtant à conclure sur lui comme j’ai commencé. Si sa doctrine générale a péri et si, parmi ses jugemens individuels, la plupart se trouvent cassés, il a dû à sa franchise, toujours ferme et droite, même lorsque la partialité l’aveuglait, à son amour de la vérité, qu’il n’a pas vue où elle était, mais que, dès le premier jour, il cherchait avec ardeur, à son talent d’écrivain, fait de verve et de couleur, de forcer en son temps l’estime de ceux mêmes qu’il choquait le plus et de mériter encore aujourd’hui les honneurs d’une discussion sérieuse.


GUSTAVE LARROUMET.