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admire fort MM. Cavelier et Guillaume, en quoi il a bien raison, mais ces deux maîtres étaient découverts depuis quelques années déjà. En revanche, il trouve « beaucoup d’ostentation » dans le Vainqueur du combat de coqs, de M. Falguière, et se croit conciliant en « ne soulevant pas de récriminations » sur cette œuvre que le public lui semble goûter à l’excès. Il « mentionne avec éloge » le Portrait de femme envoyé par Carpeaux au Salon de 1868, et trouve « ferme et précis » le Portrait de M. Charles Garnier, par le même ; or, ces deux bustes sont tout simplement des chefs-d’œuvre. Si le rôle du critique consiste surtout à signaler le talent inconnu ou méconnu, à éclairer et guider l’opinion, si sa première qualité est une sûreté de goût qui le conduise d’instinct devant les œuvres originales ou fortes, Castagnary fut-il vraiment un critique ?


V

Critique, non, mais polémiste. Un critique est, par définition, un homme qui juge, c’est-à-dire qui distingue le bon du mauvais. Son premier devoir est l’impartialité ; c’est aussi son premier besoin, car, sans elle, l’exercice de sa fonction lui devient impossible. Où les parties en présence mettent leurs intérêts et leurs passions, il ne doit apporter, lui, que le désir de bien voir et de comprendre. S’il est l’homme des uns ou des autres, il cesse d’être juge et le public le récuse. Cependant, toutes les écoles littéraires et artistiques ont désiré avoir un critique à eux, sentant bien qu’elles ne prenaient corps et n’existaient devant l’opinion que du jour où elles trouvaient quelqu’un pour formuler et défendre leurs théories. De fait, elles l’ont trouvé toutes les fois qu’elles en valaient la peine ; mais, invariablement, après avoir commencé par se livrer à la cause qu’il défendait, le critique, s’il avait vraiment la vocation de son emploi, reprenait sa liberté et jugeait ceux qu’il se contentait d’abord de louer. Le cénacle commençait naturellement par crier à la trahison, mais le public, arbitre de la querelle, donnait vite raison au critique ; il ne lui accordait sa confiance que du jour où avait eu lieu cette affirmation de sa liberté. Les choses se sont passées ainsi pour Sainte-Beuve, par exemple. Il a commencé par être de l’école romantique et l’a défendue, selon l’usage, par l’offensive, c’est-à-dire en attaquant les écoles opposées ; il a fait des réserves dès que les prétentions de mainmise sur son indépendance lui sont apparues ; il a quitté ses amis pour se mettre entre eux et le public, constatant et expliquant leurs échecs aussi bien que leurs succès. Dès lors, il n’a plus eu qu’un