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d’entre eux, elle ne fut qu’une horrible mêlée, d’où ils n’emportèrent que des impressions confuses. Il en a vu, lui, la grandeur, il en fait sentir l’impression ; son tableau n’est pas réel, il est vrai. C’est pour les mêmes motifs que le réalisme commet une usurpation en réclamant à son profit la gloire de l’école paysagiste. S’il est un genre romantique par excellence, c’est celui-là. Le sentiment de la nature est né en même temps que cet élargissement de la personnalité humaine et ce désir de l’homme de se mettre dans tout, qui sont le propre du romantisme. Tant que l’esprit classique a prédominé, que l’homme a subi docilement ces hiérarchies dont parlait Castagnary et qu’il s’est trouvé heureux sous leur tutelle, la vie sociale lui suffisait ; il ne songeait pas à regarder la nature pour se consoler de lui-même et lui confier ses souffrances. L’amour de la nature s’est épanché dans ses œuvres le jour où, mécontent de la vie sociale, il a cherché le calme et l’oubli dans la permanence tranquille des spectacles naturels. C’est avec la poésie lyrique, c’est-à-dire personnelle, des premiers romantiques, c’est dans leurs cris de douleur et de colère que les premiers recours à la nature ont été formulés. Plus la littérature exprime de mécontentemens, plus elle donne de place à la nature. Ainsi George Sand, romantique et socialiste, dont les Indiana, les Valentine, les Lelia, victimes de l’organisation sociale, demandent à la nature d’entendre leurs protestations et de soulager leurs souffrances. Si, vers le même temps, des peintres ont eu recours à la nature, ç’a été pour y mettre, eux aussi, leur personnalité, et ils ont été d’autant plus originaux, qu’ils nous montraient des images de la nature plus différentes entre elles et plus semblables à eux-mêmes : calmes, rêveuses, baignées d’une lumière d’argent et peuplées de nymphes idylliques avec Corot, violentes avec Jules Dupré, tragiques avec Théodore Rousseau. Le paysage est l’honneur du romantisme et, pour l’en dépouiller, il ne suffit pas d’une affirmation.


IV

Castagnary est-il le père de Courbet ou Courbet celui de Castagnary ? Cette question inévitable a longtemps souffert des réponses opposées. D’une part, il semblait admis, au temps où Castagnary et Courbet marchaient du même pas, l’un portant sa plume et l’autre son pinceau, que Courbet peignait ce que Castagnary écrivait, en attendant que la plume de Castagnary démontrât au public ce qu’avait peint le pinceau de Courbet. De l’autre, on objectait que Courbet avait exposé son premier tableau en 1844 et que