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Ainsi l’histoire et les peintres d’histoire n’ont pas justifié la prédiction de Castagnary. Tout ce qu’il avait condamné à mort vit encore. Pourtant il avait raison, en constatant que le genre provoquait beaucoup plus de tableaux. De ces tableaux, quelques-uns étaient peints par de vrais maîtres ; nous verrons tout à l’heure comment ceux-ci s’appelaient et si leurs œuvres justifient, au moins en partie, la doctrine de Castagnary. Mais beaucoup n’étaient-ils pas simplement de la banalité courante, faite à l’image et selon le goût du gros public ? Anecdotes bourgeoises, poésie de romance ou comique de vaudeville, n’étaient-ce point les thèmes que préféraient les nouveaux acheteurs et ceux que traitaient pour eux une bonne part des peintres de genre, de ceux mêmes que louait Castagnary ? Je n’aurai pas la cruauté de relever les noms de quelques peintres, dont l’éloge revenait fréquemment sous sa plume ; mais n’est-ce pas cette catégorie d’artistes habiles ou médiocres, qui justifieraient ces reproches de lâche flatterie envers la foule ignorante, d’abaissement de l’art et de la dignité artistique, d’amour du gain, adressés trop légèrement par Castagnary à l’art romantique, qui ne les méritait pas ?

En revanche, les romantiques auraient pu réclamer leur part de cette « apothéose de l’homme, » de cet avènement de « l’art humanitaire, » dont Castagnary faisait le privilège de l’art naturaliste. S’il est une vérité aujourd’hui démontrée, c’est que le principe dominant du romantisme dans la littérature et dans l’art, ce fut l’exaltation de l’homme, objet exclusif de l’art nouveau, et de l’artiste, qui prétendait se mettre tout entier dans son œuvre. Tandis que la littérature et l’art classiques plaçaient beaucoup de choses au-dessus de l’homme, — sentiment du divin, de l’institution sociale, de l’autorité, etc., — tandis que le poète et l’artiste classiques prétendaient ne mettre dans leur œuvre que leur talent et auraient cru pécher par excès d’orgueil en y laissant deviner leur personne, la littérature et l’art romantiques exaltaient l’homme au lieu de le juger, l’admiraient dans toutes ses actions, même criminelles, pourvu qu’elles fussent dramatiques. Resterait à savoir si la littérature et l’art doivent se proposer pour but « l’apothéose de l’homme, » et si les classiques ne le servaient pas mieux en lui proposant d’autres motifs d’admiration que lui-même ; mais il s’agit simplement, à cette heure, de marquer une différence. Quant au réalisme, son principal effort, réagissant contre celui du romantisme, ç’a été d’abaisser l’homme, de lui témoigner plus de mépris que de pitié, de le montrer plus misérable encore qu’il ne l’est. Étude de la vie réelle et de la nature telle qu’elle est, ces deux choses ne seront jamais qu’une moitié de la littérature et de l’art. L’homme ne remplit sa