Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

S’il est des choses qui relèvent par excellence de l’idéal, c’est, dans l’art, la religion, la mythologie, l’histoire et l’allégorie ; c’est pour cela que ces genres sont les expressions les plus élevées de l’art. Castagnary les condamne dans leur principe et les déclare morts. Se doute-t-il de ce qu’il nous enlève ? Toute la grande peinture, cette peinture italienne dans laquelle, par un illogisme singulier, il ne peut à plusieurs reprises se défendre de voir la suprême expression de l’art, n’a vécu que d’idées mythologiques ou religieuses, de faits historiques ou de fictions. C’est pour cela qu’elle est si large et si accessible, qu’elle a exercé son action sur tous les peuples et qu’elle reste encore sans égale. L’art, nous dit Castagnary, ne doit être que l’image du présent ; il ne doit représenter que ce que nous voyons, au moment où nous le voyons et tel que nous le voyons ; de la sorte, chaque époque laissant sa fidèle image, la succession des époques artistiques nous donnerait une image complète des divers âges. Pour réaliser cette conception de l’art, il ne faudrait rien moins qu’enlever à l’homme deux des facultés qui font de lui ce qu’il est, l’imagination et la mémoire. Le temps présent et la réalité ne lui ont jamais suffi. Tout en vivant sa vie actuelle, il se souvient et il imagine. Le passé éveille en lui des sentimens d’une douceur profonde ; il songe avec mélancolie à ce qu’ont fait ses pères, avec espoir à ce que feront ses enfans, et ces deux sentimens lui sont une consolation. Bien plus, le passé, c’est sa pensée qui le forme. L’histoire, en effet, n’existe pas encore au moment où elle se produit ; souvent les événemens n’atteignent leur portée que longtemps après qu’ils sont terminés ; ce sont les successeurs de ceux qui ont agi qui déterminent l’importance d’une action. De quel droit interdire à l’art de reproduire l’idée que l’homme se fait de l’héroïsme, de la passion, de l’énergie consacrés par le temps ? De quel droit lui refuser de traduire les aspirations de l’âme vers l’au-delà ? Car, enfin, n’en est-il pas de la religion et de la mythologie comme de l’histoire ? Les inventeurs des fables mythologiques se doutaient ils de la poésie qu’ils y mettaient ? Les premiers chrétiens devinaient-ils la révolution que le christianisme allait produire ? Un tableau d’histoire, dit Castagnary, doit être vrai pour être bon ; mais le souci de la vérité rétrospective paralyse le sens artistique. Nous savons trop que ce mot de vérité historique n’a qu’un sens relatif, que chaque écrivain et chaque artiste ont leur façon propre de raconter et de représenter les mêmes événemens, enfin que l’histoire n’existe que dans l’esprit de l’homme : elle est la forme donnée au souvenir par notre esprit. Telle scène est plus vraie, c’est-à-dire plus vivante, chez un Delacroix ou un