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ou le blâme aux artistes, selon qu’ils sont dociles ou rétifs à cette doctrine ; il prédit la solitude prochaine à qui n’est pas avec lui ; il a des phrases comme celles-ci : « Cette concession à nos idées a porté bonheur au peintre, » ou : « Cet artiste reste sans reproche devant l’esthétique nouvelle. » On qualifie volontiers d’esprit pion la manie de traiter la littérature et l’art comme une classe menée à coups de pensums ou de satisfecit. S’il n’est pas ici, où donc est-il ?

Voilà bien des restrictions. C’est qu’il fallait indiquer d’abord les défauts de Castagnary parce qu’ils sautent aux yeux et qu’ils commencent par indisposer contre lui. Mais il a des qualités, et considérables. D’abord, il aime et sent le beau ; s’il manque du flair qui découvre les œuvres originales, s’il a besoin d’être averti pour admirer à coup sûr, il éprouve devant les belles choses un enthousiasme sincère. Souvent, il est combattu entre le fanatisme de ses théories et l’admiration pour l’œuvre qui ne s’y conforme pas ou même qui en est la négation. En ce cas, il hésite plus ou moins longtemps, mais il finit souvent par louer, en se contentant de sauvegarder les principes par des restrictions amusantes, dans le genre de celles que l’on a vues ; d’autres fois, l’enthousiasme est le plus fort et il admire sans réserves, avec la chaleur et la plénitude que donne seul le vif sentiment du beau. Ainsi, malgré son aversion pour les sujets religieux, il traite le Saint Jean-Baptiste de M. Henner « d’œuvre parfaite » et il développe son sentiment avec un véritable lyrisme. Pour une fois, il admet la force d’un sujet religieux et tout ce qu’une vieille légende peut contenir de vérité durable ; il admire jusqu’à conclure par cette réflexion imprévue : « Ah ! c’est là le chef-d’œuvre et l’objet des méditations éternelles. Quel est celui de nous dont Hérodiade n’a pas demandé la tête ? » Cette qualité est assez rare pour être très méritoire, surtout chez un critique qui veut faire triompher un système et subordonne tout à cette résolution. S’il est de ces critiques, au point d’en fournir l’exemplaire complet, c’est qu’il est parfaitement convaincu. Il croit vraiment défendre une cause sainte et le triomphe de cette cause est pour lui d’une telle conséquence que les sacrifices de détail ne lui laissent aucun regret. C’est pour cela qu’il ne craint pas de désobliger cruellement des artistes dont il sent le mérite. La vérité qu’il croit posséder, il l’exprime donc sans ménagemens, avec une franchise d’honnête homme. Lorsque l’esprit de parti n’altère pas chez lui la justesse du sens, alors, comme il est bon logicien, il l’exprime avec une rare vigueur. S’il aime bien l’art, il n’aime pas moins la nature, qu’il considère comme le modèle éternel et trop négligé de l’art. Il