Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la première heure, sont restées obscures jusqu’à nous et continuent d’entretenir dans les arts la confusion et la dispute. » Il incarne les intérêts de l’art contemporain ; ce qui gêne cet art le gêne lui-même ; il menace donc l’erreur de l’anéantir en provoquant une éruption du volcan dont il dispose ; il s’écrie : « Par momens, il me prend envie de me retourner comme Encelade. » Il constate lui-même le cas que fait le public de son courage et de son bon sens : « On m’a dit : Puisque vous répondez aux questions de façon si nette et si décidée, voulez-vous nous permettre de vous en poser d’autres ? Volontiers. » Aussi ne demande-t-il rien moins à ce public que d’abjurer toute croyance antérieure, de renoncer à toute indépendance d’esprit, et de le suivre docilement vers la vérité enfin révélée : « Les idées que je vais émettre sont à la fois si nouvelles et si inattendues qu’elles pourront paraître à quelques-uns une inconséquence et à beaucoup une énormité. Pourtant, il est indispensable que je les formule et que j’appelle sur leur contenu l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la matière. Que ferai-je pour vaincre le premier moment de surprise ? Ce que j’ai déjà fait une fois avec assez de bonheur. Je supplierai le lecteur de laisser de côté des souvenirs, des préventions, des partis-pris d’école ou de système et de me suivre résolument sur le terrain où je désire l’amener. » La cause qu’il défend étant celle de la vérité, il ne fait pas simplement de la critique, il rend des arrêts définitifs, il parle au nom de l’histoire, du progrès, de l’humanité : « J’ai fait le procès à la peinture religieuse et à la peinture historique. J’ai porté contre elles, en me faisant l’organe de la conscience publique, un jugement de condamnation dont il ne sera point interjeté appel… Là est l’impérative mission de la génération présente. En l’accomplissant, elle justifie la logique de l’histoire et garde son rôle dans l’œuvre commune du progrès ; en la désertant, elle s’abdique elle-même et trahit l’humanité. »

Pour juger de si haut le passé, le présent et l’avenir, il manque à Castagnary un élément d’appréciation indispensable, mais dont, il faut l’avouer, les réformateurs de tous les temps se passent assez bien. Peut-être même le mépris qu’ils en font est-il la principale cause de leur confiance en eux-mêmes. Cet élément, c’est la connaissance de l’histoire. Castagnary, en effet, est très ignorant ; il laisse voir à chaque page que, s’il sait en gros et à peu près, sur l’évolution de l’art français, ce dont il a besoin pour accepter ou rejeter tel ou tel legs du passé, il n’a que des notions confuses sur les époques, les noms et les œuvres de l’art étranger. Il dédaigne de parti-pris les historiens de l’art, et, de ses devanciers, il ne connaît que deux, Diderot, dont il reprend, lui aussi,