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Une préface de M. Eugène Spuller présente le recueil au public. Nul ne pouvait mieux s’acquitter de cette tâche ; lettré et amateur d’art, M. Spuller connaissait Castagnary par une longue intimité. Attentivement étudié et tracé dans un esprit tout naturel de bienveillance, le portrait qu’il nous donne est ressemblant et sympathique ; il laisse une impression exacte de l’homme, qui était excellent, et de l’écrivain, qui avait sa valeur. C’est là l’essentiel. Cette préface est-elle aussi juste dans l’approbation complète qu’elle donne aux théories du critique ? Je ne le crois pas, mais l’inconvénient n’est pas grave. Le lecteur de la préface lira aussi les deux volumes qu’elle annonce, car M. Spuller donne le désir de les connaître, et il se fera lui-même une opinion. C’est ce que j’ai fait pour ma part, et voici mes principales objections.


I

M. Spuller félicite Castagnary d’avoir « soutenu et propagé des doctrines vraies, sûres et élevées ; » il estime qu’elles « ne passeront pas » et que « l’intérêt principal du livre est tout entier dans les idées générales, dans les théories générales de l’auteur. » Je croirais plutôt que ces idées et ces théories sont la partie la plus contestable et la moins durable du livre. Il est plus facile d’admettre non pas que Castagnary a écrit nombre de « pages impérissables, » car les grands écrivains méritent seuls un pareil adjectif, ni qu’il « a véritablement lutté par la plume avec le pinceau des plus célèbres maîtres de notre école, » ce qui est excessif, et ce qui n’est pas du tout le but de la critique d’art ; mais il est juste de dire que son style « souple et varié » fait un agréable contraste avec l’excès de couleur et la prétention fort à la mode dans le même temps. M. Spuller est, du reste, un esprit trop juste pour ne pas joindre quelques réserves à ses éloges ; s’il ne formule pas expressément ces réserves, il les laisse lire entre les lignes. Il nous donne aussi quelques renseignemens positifs dont nous pouvons faire notre profit.

On se doutait un peu que, si la critique d’art était une vocation pour Castagnary, il l’avait abordée par hasard et avec une préparation insuffisante : il était clerc d’avoué lorsqu’il y débuta en 1857[1].

  1. Jules-Antoine Castagnary, né à Saintes, le 11 avril 1830, est mort à Paris, le 11 mai 1888. Son premier Salon parut, en 1857, dans le recueil le Présent. Les suivans furent publiés, avec des interruptions plus ou moins longues, dans divers journaux, tels que l’Audience, le Nord, de Bruxelles, le Courrier du Dimanche et la Liberté. De 1868 à 1879, ils ont paru régulièrement dans le Siècle.