Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 116.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

athénienne et dans l’imitatrice de celle-ci, la comédie latine, le maître d’une maison de débauche, de son nom latin le léno, et il le met en présence d’un tribunal de Cos. C’est sa plaidoirie qu’il nous fait lire. Voici le sujet qui l’amène devant les juges. Un jeune homme, nommé Thales, est venu la nuit, sans doute au sortir de table, demander l’entrée de sa maison. Comme on ne lui ouvrait pas assez vite, il a frappé violemment à la porte, fait mine de la brûler et en a peut-être noirci le linteau avec la flamme des torches qui l’éclairaient ; enfin, il a fait irruption à l’intérieur et s’est emparé brutalement d’une femme qu’il a emmenée. Ces faits, qu’il est assez facile de discerner sous les exagérations de l’accusateur, n’ont rien d’invraisemblable, et l’on pourrait supposer, si l’on voulait, qu’ils formaient le fond réel de la composition du poète. La parodie consiste à reproduire les formes juridiques en usage, en mettant dans une pareille bouche, pour une pareille cause, les argumens consacrés par des chefs-d’œuvre de l’éloquence attique, comme le discours contre Midias. C’est peut-être un peu pour cette raison que M. Weil, excellent éditeur de Démosthène, goûte surtout ce mime et le préfère aux autres. Le fait est que cette pièce est pleine d’esprit et habilement composée. Elle met en scène un plaideur qui sait son rôle et dont le langage révèle le caractère en même temps qu’il s’approprie à ses intérêts.

L’affaire se plaide devant un tribunal démocratique, et la procédure suivie ressemble fort à celle qui était usitée à Athènes. Le plaignant a intenté une action pour voies de fait, qui, d’après une loi, la loi de Chærondas, entraîne de fortes amendes pour chacun des actes délictueux, suivant leur degré de gravité, une mine, mille, deux mille drachmes. Il fait lire cette loi par le greffier, en ayant soin qu’on arrête pendant la lecture la clepsydre, l’horloge à eau qui mesure le temps accordé aux plaideurs. Il produit sa pièce de conviction, la femme violentée. Il offre ses esclaves à la torture et s’y offre lui-même (proposition peu sérieuse), à condition que, conformément à la loi, la partie adverse dépose la somme qui représente la valeur des torturés. Comme il est à Cos étranger domicilié, il parle de son patron et le met en cause. Le tout dans un discours coupé d’interpellations aux juges, à l’adversaire, au témoin, sorte d’action animée, qui réserve aussi leur place aux argumens généraux et aux développemens de situation. Les principaux ont dû reparaître des centaines de fois devant les tribunaux démocratiques : c’est l’opposition du riche et du pauvre, c’est le devoir de protéger le second contre l’insolence du premier, c’est le droit à l’égalité, la nécessité de respecter les lois. C’est ici que la comparaison avec la Midienne se présente naturellement à