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plus au fond encore, il y a le sentiment que dans ces tristes affaires mal engagées, livrées à tous les hasards, c’est la direction supérieure qui a manqué. On a de plus en plus l’instinct que nous sommes dans une crise de transition, où les petits expédiens et les vains subterfuges ne servent qu’à tout compliquer, à prolonger les impatiences de l’opinion, — d’où on ne peut sortir que par l’énergie d’une volonté résolue et par un esprit nouveau dans la politique de la France.

La vérité, c’est que si on est fatigué de vivre dans cette atmosphère malsaine où l’esprit de suspicion et de délation traîne le pays depuis deux mois, on est fatigué aussi des tergiversations, des tâtonnemens qui n’ont d’autre effet que de perpétuer une crise d’opinion par des incertitudes de direction ou par des ménagemens de parti. Que des tacticiens d’agitation, par leurs interpellations ou leurs polémiques, par leurs divulgations ou leurs réticences calculées, s’efforcent d’entretenir cette crise sans s’inquiéter du trouble qu’ils sèment dans le pays ou des armes qu’ils donnent aux diffamateurs de la France au dehors, ils sont dans leur rôle d’agitateurs. C’est aussi une nécessité impérieuse, démontrée désormais, que les pouvoirs publics, quant à eux, se décident à déjouer ces tactiques, à écarter toutes les considérations secondaires pour entrer dans le vif de la situation présente, pour en dégager ce qu’on peut appeler la moralité.

C’est le vœu intime de la masse désintéressée du pays. Si l’on voulait en avoir la preuve, on l’a eue tout récemment par le succès qu’a obtenu, — peut-être sans le prévoir complètement, — M. Godefroy Cavaignac, en proférant en plein parlement une parole de vérité et de courageuse résolution, qui a eu la singulière fortune d’émouvoir la chambre et même de retentir bien au-delà de la chambre. On ne s’y attendait pas, l’impression a été d’autant plus vive : elle a été aussi profonde que spontanée.

Ce n’est pas que M. Cavaignac ait rien dit d’absolument nouveau ; il a tout simplement résumé et condensé avec une énergique précision ce qui est dans l’instinct public. Bien entendu, il ne s’agit pas dans ce discours d’incriminations personnelles : il s’agit de faits tout politiques, des résultats politiques de l’instruction qu’on a cru devoir ouvrir. M. Cavaignac, qui est d’habitude un « silencieux, » n’a point hésité à déclarer que ces résultats « n’étaient pas suffisans pour satisfaire la conscience publique. » Il n’a point hésité à relever et à marquer d’un trait énergique l’étrange aveu qui a été fait : « qu’à une heure donnée, des financiers sont venus apporter à l’État français l’aumône de leurs avances, et, ce qui est plus grave encore, l’aumône de leurs dons ! » Il a constaté cet autre aveu qu’à un certain moment un premier ministre s’est cru le droit de « surveiller les distributions de fonds des sociétés financières. » Il a ajouté enfin qu’on devait au pays l’assurance « que de pareils faits ne peuvent pas se renou-