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d’élimination ; mais, comme l’a dit M. de Quatrefages, un homme ne s’acclimate pas, une génération s’acclimate… et se réhabilite.

En tout cas, on ne voit pas ce qui empêche de constituer avec nos nationaux, comme nous le faisons avec les transfuges d’autres pays, de nouveaux bataillons de cette légion étrangère qui vient de montrer au Dahomey sa supériorité militaire. Je me suis laissé dire qu’on avait plus d’une fois biaisé avec la loi, et enrôlé des Belges ou des Suisses dont l’état civil cachait un natif des bords de la Seine. On a bien fait. Cette légion où il y a de tout, puisqu’on y découvrit un jour un évêque hongrois, pourquoi ne pas la doubler, la tripler, par des engagemens reçus en France, sans exigence de papiers, sans investigations sur les origines du naufragé de la vie ? Nos énergiques officiers du Soudan ne demandent pas d’autres recrues pour aller au feu, pour construire les voies ferrées. Un des plus expérimentés et des plus haut placés, parmi ces officiers, me disait naguère : « Avec le soleil du Sénégal pour sergent, je me charge de réduire les plus récalcitrans. » Le véritable noyau de notre armée coloniale est là, on s’obstine à ne pas le voir.

D’autre part, Monteil apporte une conception très étudiée de ce que pourraient être, sur nos marches-frontière du Soudan et d’ailleurs, des corps spéciaux, militaires et colonisateurs, organisés sur le modèle des légions installées par les Romains aux marches-frontière du monde barbare. Ses idées se rencontrent sur ce point avec celles que j’ai pu me former en observant la colonisation cosaque en Asie. L’histoire du passé, si nous l’interrogeons bien, nous fournira certains types d’outils, toujours réinventés par des races très dissemblables pour servir aux mêmes travaux. Et les nécessités de demain nous contraindront à épuiser le sens de ces mots du magistrat municipal : a le meilleur socialisme ; » non pas seulement pour le chercher dans les nouveaux débouchés économiques ; mais encore et surtout dans une meilleure répartition de notre capital en vies humaines ; capital parfois engorgé, languissant et menaçant dans nos vieux cadres, et qui retrouverait son emploi régulier, mieux distribué sur les espaces vides qui appellent ailleurs la vie trop resserrée chez nous. — Mais ce serait étrangler ces questions que de les soulever en quelques lignes hâtives ; chaque jour les éclaire un peu plus ; nous aurons sans doute occasion d’y revenir. Monteil, qui a tant fait pour les mûrir, nous aidera puissamment : quel précieux auxiliaire, pour convaincre les esprits par le raisonnement, celui qui par ses actes a déjà gagné tous les cœurs !


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUE.