Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/948

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

craindre qu’ils n’y remportent trop peu d’amour pour les beautés du système parlementaire.

Ils ont achevé là-bas l’œuvre de préparation nécessaire ; ici, elle est faite dans les esprits. Le champ est labouré, la graine prête : qu’attend-on pour ensemencer ? Laisserons-nous perdre par notre inertie le fruit de tant de travaux, de tant d’héroïsme ? Le projet de loi sur les compagnies de commerce continue de dormir son sommeil dans les cartons sénatoriaux. Même malchance sur le projet de loi relatif à l’armée coloniale ; projet insuffisant, mal conçu, à notre avis, mais qui vaudrait encore mieux que rien. Les esprits chagrins, récalcitrans aux entreprises africaines, ont trop beau jeu pour demander ce que nous voulons et allons faire du Dahomey, glorieuse conquête qui nous reste sur les bras ; du Soudan français, où nous tournons dans un cercle vicieux, déblayant chaque année le même terrain, avec les mêmes efforts coûteux, pour n’y rien planter. — Sur ces points comme sur tous les autres, on ne fera rien tant que l’on ne se résoudra pas à sortir de la routine, à créer des organismes neufs ou à recréer les anciens qui ont péri, pour servir les besoins nouveaux d’un empire colonial né d’hier.

Patience ! comme on dit à nos explorateurs. Les idées s’assemblent dans l’air ambiant, leur pression sera bientôt supérieure à la force d’inertie qui les arrête. On a déjà pu voir, dans la récente discussion du budget des colonies, comment tous les orateurs tournaient d’un mouvement timide encore, mais incoercible, autour de cette question capitale : l’emploi plus judicieux de nos résidus sociaux, qu’ils s’appellent transportés, relégués, insoumis de toute catégorie. Il est prouvé aujourd’hui que les résultats ont été nuls ou déplorables, parce que l’on n’a pas su traiter ces déchets de la civilisation. On a reconstitué les anciens bagnes dans l’Éden de la Nouvelle-Calédonie, concurremment avec la colonisation libre, sous une tutelle administrative qui ne stimule pas des volontés atrophiées. Que n’essaie-t-on de les rendre à la forme de vie la plus convenable à leurs instincts, à la lutte, à l’aventure ! Je ne crois guère aux hommes absolument mauvais : je crois qu’il y a des hommes mal employés ; et la nature, qui utilise tous ses matériaux avec les mêmes lois, nous donne une leçon persuasive, quand elle transforme les pires résidus de nos villes dans ses terrains vagues, pour en tirer une vigoureuse végétation. Jetez nos forbans intérieurs sur ces territoires neufs où l’on échappe au code, où les plus apathiques sont obligés de lutter pour défendre et soutenir leur vie. Ils y porteront leurs habitudes violentes, dira-t-on. À parler franchement, elles seront moins déplacées dans les forêts du Bénin ou du Gabon que dans nos cités. Le climat fera sur eux son œuvre