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îlots de population autochtone sont restés fidèles au paganisme ; Monteil a même constaté au nord, sur les limites des Touareg, la persistance d’une zone fétichiste dans les parages du Maradi et du Gober. Mais la plupart des Haoussa ont embrassé la religion de l’envahisseur ; aujourd’hui, l’élément national reprend le dessus, et le voyageur a observé, à la cour même de Sokoto, un phénomène qu’il compare tort justement à ceux dont l’Autriche-Hongrie nous donne le spectacle : la politique oblige les princes des dynasties Foulbé à n’employer officiellement que l’idiome de la nation conquise.

Les villes où résident ces princes, Sokoto, Wourno, Gando, Katséna, Kano, sont des agglomérations populeuses, encloses d’une enceinte de plusieurs kilomètres de tour, et qui varient entre 20,000 et 60,000 âmes, quelquefois plus. On aurait tort de se les figurer sous l’aspect d’un pauvre ramassis de cases nègres : les capitales du Soudan ressemblent plutôt à des cités arabes, avec leurs maisons d’argile rigoureusement fermées aux regards profanes, espacées dans les cultures potagères ou groupées autour de bazars abondamment pourvus. Toutes les races de l’Afrique se coudoient dans ces bazars, à Kano surtout, qui est le principal marché de l’intérieur et la tête de ligne des caravanes de Tripoli. Les guerriers Foulbé y circulent à cheval, en grand appareil militaire, entre les Touareg du désert, les caravaniers de la côte barbaresque, les esclaves transportés du Bénin, les voisins kanouri du Bornou, les hadjis revenus de La Mecque par le Kordofan et le Wadaï. Les costumes sont aussi variés que les types ; l’art assez avancé des teinturiers donne des tons éclatans au coton récolté dans le pays. Les élégans du Soudan portent des burnous couleur de feu, des tuniques rayées de vert et de blanc, de larges culottes jaspées de la nuance du plumage de pintade. Comme dans plusieurs parties de l’Orient musulman, les femmes s’enveloppent d’un vaste vêtement sans forme et de couleur sombre. Ces peuples demeurent fidèles à l’indication de la nature, qui a distribué, dans toutes les espèces animales, les teintes brillantes au mâle, les teintes neutres à la femelle ; loi que notre illogisme a renversée.

Dans les campagnes haoussa, on cultive les céréales, le sorgho, le coton, l’indigo. Le paysage s’embellit d’arbres gigantesques, kouka, baobab, tamarin du Soudan : le feuillage de ce dernier offre au voyageur un pavillon naturel qui ombrage une aire de cent pieds de diamètre. Les champs alternent avec des pâturages où foisonne le bétail, chevaux, bœufs, chèvres, moutons ; animaux de belle race et de plus haute taille que leurs congénères d’Europe. La dépression du continent africain, entre le Tchad et le Niger, est