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géographique, l’importance politique et scientifique de l’itinéraire choisi par la mission. Ce qu’ils acclamaient tous, c’était une vraie manifestation de l’esprit de notre race, l’image de l’âme nationale apparue soudain par ses meilleurs côtés.

Je voudrais montrer ici que leur admiration ne s’égarait pas. Quelques brèves indications feront comprendre comment l’exploration du Soudan central a été conduite, et combien elle était urgente pour nos intérêts.


I

Je ne reviendrai pas sur les partages africains, ni sur la configuration des lots qui nous ont été dévolus, soit que nous les occupions déjà, soit que leurs prolongemens rentrent d’un commun aveu dans notre sphère naturelle d’influence. Il n’y a guère plus de deux ans, j’exposais ici l’ensemble de ces questions[1] : elles se sont élargies et précisées, dans ce court laps de temps, grâce à Binger, à Mizon, à Monteil, à nos missions du Congo français. Le lecteur voudra bien se rappeler la convention du 5 août 1890, passée entre l’Angleterre et la France, convention qui délimitait les zones d’influence dans le Soudan central, suivant une ligne idéale tirée de Say, sur le Niger, à Barroua, sur le Tchad. Nous plaisantions alors volontiers cette ligne idéale, prolongée à travers des pays que nul n’avait revus depuis quarante ans, depuis les voyages d’Henri Barth, accomplis entre 1850 et 1855. Les récits de l’explorateur allemand étaient nos seules sources d’information sur ces états musulmans du Sokoto, qui s’étendent entre le Niger et le Bornou. Pour ce dernier pays et pour le bassin du Tchad, nous avions les itinéraires de Vogel et de Beurmann, assassinés à l’orient du lac vers la même époque, les relations plus récentes de Rohlfs et de Nachtigal. Néanmoins, M. Elisée Reclus pouvait écrire naguère, dans son volume sur l’Afrique occidentale, qu’on ignorait si Kouka, la capitale du Bornou, n’avait pas été déplacée durant ces vingt dernières années. Barth avait trouvé dans ces régions un climat tempéré, un sol fertile, de vastes cités, une civilisation relative ; chaînon intermédiaire entre les noirs des régions équatoriales et les Arabes des régions barbaresques, le Soudan central se rattachait à ces derniers par son commerce direct avec Tunis et Tripoli.

  1. Voir, dans la Revue du 15 octobre 1890, les Indes noires.