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nérée par l’eau du baptême qu’elle reçoit de celui-là même qu’elle n’a pas pu corrompre. Ce qu’il y a de plus profond et de plus humain dans le christianisme, Wagner a su l’exprimer dans Parsifal par la forme la plus sensible et la plus irrésistible : celle du drame musical.

Le dernier tableau nous ramène, grâce au mécanisme ingénieux du décor mouvant, au temple du Graal. Nous revoyons avec une impression délicieuse le même décor qu’au premier acte, — moins les tables de la communion ; — nous réentendons les mêmes harmonies supra-terrestres ; nous nous laissons bercer par les concerts mystérieux qui planent au plus haut de la coupole : et, quand le rideau nous dérobe la scène, il semble que ce soit le ciel qui se ferme, le ciel un instant entrevu avec sa perspective radieuse de paix infinie et de joie éternelle. Si le spectateur s’arrache avec regret à la contemplation du monde idéal créé par la pensée de Wagner, du moins il emporte avec lui une impression sereine de paisible extase et de douce béatitude. Il sort du théâtre pacifié et raffermi. Parsifal n’est pas seulement un chef-d’œuvre, c’est une œuvre de paix, de clémence et de foi ; sa création ne pouvait être possible que dans la période d’accalmie victorieuse dont a joui le grand lutteur pendant les dernières années de sa vie. Parsifal, c’est plus qu’une entrée triomphante dans la gloire ; c’est déjà une prise de possession de « l’au-delà. »

Ma première soirée de Bayreuth m’avait plongé dans un tel ravissement que je croyais impossible de goûter une émotion aussi vive deux jours de suite. Ce n’est pas sans une certaine défiance que je me rendis le lendemain au théâtre pour assister à la représentation de Tristan et Iseult. Je ne connaissais cette partition que pour l’avoir lue et en avoir entendu des fragmens dans les concerts : malgré mon admiration pour Wagner, Tristan m’inspirait une certaine répugnance, presque de la répulsion ; je ne voyais dans cette œuvre qu’une efflorescence maladive, qu’un cas pathologique de delirium chromaticum, qu’une intoxication de la pensée musicale… Après la représentation, je sortis du théâtre, je ne dirai pas plus enchanté, mais aussi enthousiasmé de Tristan que je l’avais été la veille de Parsifal. Ce qui prouve une fois de plus qu’il faut s’abstenir de juger Wagner comme un simple compositeur de musique. Wagner est un dramaturge avant tout : sa musique, hors de la scène et présentée par fragmens détachés, ne peut donner qu’une idée très incomplète et souvent très fausse de son génie.

Tristan est une œuvre maîtresse ; c’est peut-être la plus personnelle des œuvres de Wagner. Sa composition date de 1859 : —