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deux chemins dont un était la voie principale entre la France et l’Allemagne se croisaient à ce point-là, ce qui est une façon de dire qu’ils formaient la croix de saint André ou la lettre X. J’espère que le compositeur va choisir un bon X, bien large, et, dans ce cas, le locus où se réunissent les quatre bras divergens donnera au lecteur une suffisante information géographique et lui montrera, à une ligne près, où Domrémy se trouvait situé[1]. »

Laissons bien vite ces excentriques jeux de lettres. Si l’essai n’avait rien contenu de meilleur, nous n’eussions, certes, jamais songé à l’extraire des œuvres complètes de Quincey. Mais son auteur, grâce à ses appels à l’opium, ne reste jamais bien longtemps à terre ; et nous le voyons s’élever de nouveau à propos de la suggestion de l’époque qu’eut à subir la Pucelle ; dans un ciel toutefois encore un peu obscur, où il se perd souvent dans de ténébreux nuages :

« Le lieu où se trouvait Jeanne d’Arc était rempli de suggestions profondes… Mais si le lieu était solennel, l’époque, avec son écrasant fardeau, l’était bien davantage. L’atmosphère, en effet, dans ses régions les plus hautes, était remplie de chocs et de bruits de ténèbres, obscurcie par de sinistres fermens d’orage qui s’accumulaient depuis un demi-siècle. La bataille d’Azincourt, quand Jeanne était enfant, avait rouvert les blessures de la France. Crécy et Poitiers, ces défaites accablantes pour la chevalerie française, avaient été séparées d’Azincourt par un calme de plus de cinquante années. Mais, au retour de leurs sonneries de détresse, les tombes fermées depuis soixante ans semblèrent s’ouvrir par sympathie pour une douleur qui répondait à celle de leurs morts. La monarchie française, dans ces suprêmes épreuves, était comme un navire luttant contre les flots. La folie du misérable roi Charles VI, tombant au milieu d’une semblable crise, tripla l’horreur de ces épouvantables jours. Tout, jusqu’au fait étrange qui l’avait occasionné, était en harmonie avec cette prostration d’esprit qui jetait alors la France à genoux, comme sous le lent accomplissement de quelque très ancienne prophétie. Les famines, les maladies extraordinaires, les révoltes de paysans çà et là en Europe, étaient aussi des cordes de la mystérieuse harpe, mais effleurées seulement. D’autres résonnaient avec plus de violence : la fin des croisades, la suppression des templiers, les interdits de Rome, les tragédies faites ou subies par la maison d’Anjou… et surtout la figure colossale de la féodalité, prenant son essor sur le champ de bataille de Crécy pour fuir à jamais la terre[2] ! »

  1. Joan of Arc, p. 213.
  2. Joan of Arc, p. 215.