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dioses qui se soient produites au théâtre, entre Gournemans, Parsifal et Koundry.

Le personnage de Koundry a un double caractère, à la fois surnaturel et humain. Au second acte, Koundry est « magicienne, » elle tient son pouvoir du sorcier Klingsor dont elle subit la domination. Dans les autres actes, elle est « femme » et aspire à être délivrée de la servitude du démon. Ainsi, son rôle se trouve lié à l’action dans toutes les parties du drame. Un grand poète seul était capable de créer ce personnage double, qui, par une opposition puissante, déploie au second acte toutes les ruses de la séduction et au troisième concourt à la représentation la plus pathétique de l’idéal chrétien. Dans cette dernière scène, Wagner s’élève aux plus hautes régions de la pensée et y transporte avec lui le spectateur fasciné. Au moment où Parsifal a dévêtu sa sombre armure et apparaît dans les longs plis de sa robe blanche, quand Koundry, humiliée et repentante, lui lave les pieds avec l’eau trempée des larmes de son cœur, nous sommes transportés à deux mille ans en arrière : nous vivons au jour du premier vendredi saint.

Si Wagner, renouvelant les drames du moyen âge, avait mis directement Jésus sur la scène, peut-être le spectateur, effarouché par l’idéalité presque inaccessible du personnage, eût trouvé l’œuvre d’art inférieure au sujet. Avec Parsifal, c’est le contraire qui arrive. L’impression produite par cette scène dépasse tellement ce que le spectateur attendait que son imagination électrisée s’élance bien au-delà du sujet. Les mystères sacrés se dévoilent dans leur majesté primordiale ; les personnages visibles ne sont plus que des symboles ; à la place de Parsifal et de Koundry, c’est Jésus le Rédempteur et Madeleine la rachetée que le spectateur voit vivre devant lui. Quelle musique enchanteresse Wagner a trouvée pour cette scène ! On raconte que cette mélodie divine, dont l’audition vous laisse si rafraîchi, si renouvelé, fut composée par lui un vendredi saint pendant une première sortie de convalescence. Il faisait doux, le soleil brillait, la nature renaissait ; le poète se sentait revivre. Son imagination fut tellement frappée de la coïncidence entre les souvenirs évoqués par ce grand jour et cette résurrection de la nature qu’il condensa cette impression poétique dans une phrase musicale qui est un trésor. Plus tard, il s’en souvint en écrivant la scène de Parsifal désignée sous le nom « d’enchantement du vendredi saint. »

Le contraste créé par Wagner entre cette scène et le duo du second acte le place au premier rang des poètes tragiques. La sorcière tentatrice, l’être diabolique dressé à la séduction, nous apparaît transformée, pécheresse purifiée par le repentir, créature régé-