Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/919

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par lesquelles fut célébrée, dans Vaucouleurs en délire, la délivrance de la France. Non, car sa voix était alors silencieuse ! Non, car ses pieds étaient alors de la cendre !… Et quand les tonnerres de la France tout entière tonneront pour proclamer la grandeur de la pauvre bergère qui a tout sacrifié pour le salut de la patrie, ton oreille, innocente et malheureuse fille, aura été fermée depuis cinq siècles. Souffrir et agir, tel a été ton lot sur la terre, ta destinée, qui, pas un seul instant, n’a été cachée à tes yeux. Mais la vie, disais-tu, est courte ; long est le sommeil de la tombe. Employons donc cette vie si passagère à faire une provision de gloire pour les rêves divins qui charmeront ce si long sommeil ! Cette créature innocente n’a pas cessé un moment de croire au sombre avenir, qui s’approchait si vite. Elle pouvait ignorer le genre de son trépas. Peut-être n’aperçut-elle pas, dans sa vision de l’avenir, l’échafaud embrasé se dressant dans l’air, la foule immense accourant à Rouen par tous les chemins comme pour une fête de sacre, la colonne de fumée et les langues de flammes, les visages pleins de haine des assistans ? Elle a bien pu ne pas distinguer tout cela dans la brume d’un destin dont l’accomplissement était proche. Mais la voix qui la conviait à la mort, cette voix-là, elle l’a toujours entendue !

« Grand était le trône de France, même en ces tristes jours, et grand était celui qui l’occupait. Mais Jeanne savait bien que ni le trône de France, ni celui qui l’occupait n’étaient pour elle, et qu’elle était au contraire, elle, pour eux ; qu’eux par elle devaient sortir de la poussière et qu’elle n’en sortirait jamais par eux. Magnifiques étaient alors les lis de France, qui, pendant des siècles, ont eu le privilège de voir admirer leur splendeur sur la terre et les mers, jusqu’au jour où la malédiction de Dieu s’unit, pour les flétrir, à la colère des hommes. Mais Jeanne savait bien que les beaux lis de France ne formeraient jamais de guirlande pour elle, que jamais, pour elle, ils ne donneraient bouton, fleur ni calice[1]. »


II

Après cette puissante envolée dans le rêve, Thomas de Quincey, à bout de vision, retombe dans la minutieuse érudition et dans la controverse acerbe, auxquelles il demandait de remplir ses entresonges. Ce sont de méchantes chicanes à propos d’un mot ou d’une

  1. Joan of Arc, p. 206.