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murmure confus de tous ces contes par lesquels les tribus et les cités grecques se sont expliqué le mystère de leurs origines, je croyais distinguer, au timbre du son, maints échos fidèles des bruits de ce très lointain passé. Surpris d’avoir à reconnaître que les trouvailles récentes confirmaient, à bien des égards, les données qui avaient paru, jusqu’à présent, les plus suspectes, j’en venais à me demander si, lorsqu’ils acceptaient et répétaient les traditions qui avaient cours au sujet du premier âge de la Grèce, un Hérodote, un Diodore, un Pausanias, n’étaient pas moins éloignés de la vérité que ne le furent les historiens sceptiques qui ne voyaient partout là que des tables, qui trouvaient dans l’Iliade des mythes solaires, et qui auraient souri de pitié si on leur avait dit qu’il convenait peut-être de chercher, dans les mythes d’Io, de Danaos et de Cécrops, la trace de très anciennes relations établies entre le Péloponnèse et le grand empire de la vallée du Nil.

On a dit qu’un peu de science écarte de la foi aux vérités de la religion révélée, et que beaucoup de science y ramène. Je ne sais si la maxime est aussi vraie qu’affectent de le croire les prédicateurs, qui aiment à la citer ; mais ce que l’on peut affirmer avec pleine assurance, c’est que les plus récens progrès de la recherche scientifique ont eu pour résultat de nous rendre moins incrédules à l’endroit de l’histoire traditionnelle, telle que nous l’ont léguée les Grecs et les Romains ; ils nous ont appris à ne pas écarter tout d’abord, par une fin de non-recevoir absolue, toutes les données qui nous causent quelque étonneraient. La critique, sans doute, conserve ses droits ; c’est à elle de fixer, par une patiente analyse, la date des différens élémens que contiennent les traditions qu’elle étudie et d’éliminer ceux qu’y ont introduits l’esprit inventif des poètes de l’âge classique et les combinaisons auxquelles se plaisaient les arrangeurs et commentateurs alexandrins. Quand elle a terminé, de son mieux, cette opération délicate, ce qui reste dans son creuset, c’est la partie vraiment ancienne de ces récits, celle qui représente les souvenirs que l’âme grecque avait gardés des jours de son enfance et de son adolescence. Ramenés ainsi à leur forme la plus simple, ces souvenirs renferment, on commence aujourd’hui à le comprendre, des dessous, qui ont été méconnus jusqu’à présent, de vivante réalité.


GEORGE PERROT.