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qui accompagnent la consommation du sacrifice ; des chants mystiques émanant des hauteurs de la coupole, ou de l’hymne entonné par les chevaliers qui traduit avec une si mâle noblesse la robustesse morale conférée par le sang du Sauveur. On ne saurait trop le remarquer chez Wagner : cette musique n’a pas une valeur purement esthétique ; elle exerce une influence pacifiante et saine, elle est douée d’une haute efficacité morale. Wagner a eu véritablement, en l’écrivant, la révélation directe de ce qu’il y a dans le principe eucharistique de vivifiant et de régénérateur.

Malgré tout le génie de Wagner qui a su rencontrer ses effets les plus intenses dans le domaine religieux, la conception de Parsifal eût été impossible à réaliser dramatiquement sans l’élément de contraste du deuxième acte où il a concentré l’expression des forces malignes de Klingsor et de la puissance séductrice de Koundry. Le chœur célèbre des Filles-Fleurs, qui ouvre le second tableau du second acte, est un morceau d’une suavité infinie, à la séduction duquel ajoute encore une interprétation d’une perfection presque invraisemblable. Mais, par une exception regrettable, le décor, qui devrait, conformément aux habitudes de Bayreuth, corroborer le charme et concourir à la fascination, m’a paru d’un goût exaspérant. Le décorateur a représenté, sous prétexte de « splendeur florale, » un ramassis de fleurs obèses rappelant vaguement les expositions de légumes monstres. Rien n’égale la répugnante lourdeur de ces plantes-phénomènes, dont la vue afflige le regard, tandis que la voix délicieuse des Filles-Fleurs enivre l’oreille. Quant à ces dernières, si leurs accens expriment le maximum de charme et de séduction que puisse revêtir la vie, je souhaiterais je ne sais quoi de plus aérien, de plus féerique et de plus rare à leur costume, qui rappelle un peu trop la prose de l’existence. Le duo très développé où Parsifal triomphe des séductions de Koundry m’a paru plus captivant par l’expression des angoisses terribles du lutteur que par les accens mêmes de la voluptueuse tentatrice. L’acte se termine sans grand éclat ; et l’on se demande si l’absence d’effet à la fin de « l’acte du milieu » n’est pas un parti-pris chez Wagner, car elle se remarque dans plusieurs de ses ouvrages. Y aurait-il là un procédé destiné à mieux lier l’action et à ne pas rompre la pente de l’intérêt dramatique par une arête trop vive ?

Dans le tableau d’intérieur qui ouvre le troisième acte, l’auditeur ressent une impression d’accalmie complète ; mais il est envahi par une poésie ambiante qui le tient en haleine, même quand l’action paraît stagnante. L’entrée de Parsifal, en chevalier noir, qui cause d’abord quelque surprise, prépare une des scènes les plus gran-