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IV

Si l’on regarde en arrière, du point où nous sommes arrivés, on embrasse d’un seul coup d’œil l’ensemble du chemin que le génie grec a parcouru pendant les premières phases de son évolution, chemin que nous avons vu sortir de cette ombre profonde où se dérobent toutes les origines, puis blanchir et s’éclairer faiblement lorsque s’est levée l’aube de la poésie ; au moment où nos yeux s’en détournent, il va se dérouler en pleine lumière, sous le jour grandissant de l’histoire. Ces phases, nous les avons définies et distinguées, d’après le caractère des monumens qui les représentent ; mais, quand il s’agit d’assigner à chacune d’elles une date probable, la difficulté devient beaucoup plus grande, en l’absence de tout document écrit et de toute donnée chronologique.

Dans le vaste espace indéterminé qui se creuse en arrière de ce XIIe siècle où les chronographes grecs plaçaient à la fois la guerre de Troie et, vers la fin, l’invasion dorienne, il y a un premier point de repère, la catastrophe de Théra. En se fondant sur la seule étude des terrains, les géologues inclinent à la placer vers le XXe siècle, et, d’autre part, il est certain que les Grecs n’en avaient gardé aucune mémoire, eux qui croyaient savoir que les Phéniciens s’étaient établis dans cette île vers l’an 1500. Jetée à l’extrême sud de l’Archipel, Théra est très isolée ; il est cependant difficile d’admettre que l’engloutissement d’une partie de cette île, que la fuite ou l’anéantissement de tous ses habitans n’aient pas eu de retentissement dans la Grèce insulaire. C’est bien peu de ne compter qu’un siècle pour que le silence et l’oubli se soient faits sur ce désastre, pour que tous les symptômes de l’activité des feux souterrains aient disparu, pour que l’air et la pluie aient changé en terre végétale la couche superficielle des scories, conditions qui devaient être réalisées avant que l’homme songeât à reprendre pied sur ce sol. On se trouve ainsi conduit à remonter jusqu’au XVIIe ou au XVIIIe siècle, et l’on est bien près de se rencontrer avec les géologues. D’autre part, l’industrie des villages ensevelis sous la cendre à Théra est plus avancée que celle de la seconde ville troyenne et du premier village de Tirynthe. Il n’y a donc aucune exagération à reporter jusque vers l’an 2000 la formation des premiers groupes qui se soient fixés sur les collines de la Troade et de l’Argolide pour y mener une vie sédentaire.

En présence de monumens comme ceux de Tirynthe, de