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2m,50 d’épaisseur, et, au milieu, plus de 1 mètre de haut ; on en a évalué le volume à 12,5 mètres cubes qui, étant donnée la densité de la roche, pèseraient environ 30,000 kilogrammes ; mais la plus grande pièce que l’architecte ait jamais employée en Grèce, c’est l’une des deux gigantesques poutres de pierre qui couvrent le passage par lequel on accède à la salle ronde du prétendu trésor d’Atrée, la poutre qui est placée dans l’intérieur de la bâtisse. Elle a près de 9 mètres de long, 5 mètres d’épaisseur et 1 mètre de hauteur. C’est 45 mètres cubes de conglomérat calcaire, qui représentent un poids approximatif de 120,000 kilogrammes. Les sujets d’Agamemnon ne connaissaient assurément ni le cric ni la poulie ; ils n’usaient que de la plus élémentaire de toutes les machines, du levier. Comme en Égypte et en Assyrie, c’est à force de bras et de cordes que l’on a dû traîner ce bloc prodigieux depuis la carrière jusqu’à pied d’œuvre, pour l’élever ensuite en le faisant monter, à l’aide de rouleaux, sur un de ces plans inclinés dont la trace a été retrouvée dans certains édifices de la vallée du Nil.

Si nous en étions réduits au seul témoignage des monumens, il ne nous échapperait pas qu’il vint un moment où l’art mycénien céda la place à un autre art, celui qui est connu sous le nom d’art grec archaïque. Dans l’intérieur des enceintes cyclopéennes, on ramasse, à une faible profondeur au-dessous du sol actuel, les tessons de vases qui datent du VIIIe ou du VIIe siècle, et, sur les décombres des palais de Mycènes et de Tirynthe, on a trouvé les ruines de deux temples d’ordre dorique. Sans doute on eût été fondé à induire de cette succession des styles qu’entre l’instant où le premier avait pris fin et où le second avait commencé de dominer, il s’était passé des événemens tels que des suppressions d’états et de dynasties ; mais ce n’aurait été là qu’une hypothèse. Par bonheur, il se trouve que la tradition, si flottante pour tout le premier âge du monde grec, prend presque la consistance de l’histoire pour le début même de la période suivante, qui s’ouvre par la chute des antiques royautés achéennes et par des conflits à la suite desquels une partie de la population abandonne la Grèce d’Europe pour l’Asie et pour les îles voisines. Les récits qui ont trait à ces luttes et à ces départs sont encore mêlés de fables ; mais la suite des faits y est bien établie. Il n’y a pas à douter que le bouleversement et le mouvement d’émigration qui en fut la conséquence n’aient été provoqués par ce que les anciens appelaient le retour des Héraclides, par ce que nous nommons l’invasion dorienne.

Les Doriens étaient une tribu apparentée, par la race et par la langue, aux groupes de Pélasges, d’Ioniens et d’Achéens qui, depuis