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n’avaient conservé aucun souvenir de ce prodigieux désastre, qui dut faire tant de victimes. N’était-il pas naturel d’en conclure que l’on avait là, dans les constructions exhumées par MM. Nomicos, Fouqué et Gorceix, les plus antiques restes du travail de l’homme qu’il y eût chance de rencontrer dans cette région ?

Les fouilles ont pourtant démontré que, si l’on veut atteindre le plus ancien état de l’industrie égéenne, il faut aller le chercher ailleurs qu’à Théra, dans ce que Schliemann appelle la première et la seconde ville de Troie. L’industrie de Théra est, à certains égards, sensiblement plus avancée que celle de Troie. De part et d’autre, l’appareil des bâtimens est grossier ; mais, à Troie, le crépi qui les recouvre n’est que de l’argile, une argile un peu plus fine que celle qui sert de mortier, tandis qu’à Théra nous rencontrons des enduits faits d’une chaux sur laquelle ont été tracés des ornemens en couleur. On paraît, à Troie, n’avoir pas su manier le pinceau. La poterie y est toute monochrome, ainsi que dans le plus ancien village de Tirynthe. À Théra, au contraire, auprès des vases d’un seul ton, qui sont les plus nombreux, on en a recueilli quelques-uns, exécutés en brun, en rouge ou même en bleu, que parent des figures de plantes ou d’animaux. Dès lors, le génie grec a créé le vase peint, qui sera l’une des originalités et des gloires de cet art. L’avenir n’aura plus qu’à tirer de cette invention les partis brillans et divers qu’elle comporte.

Si l’industrie de Théra est en avance sur celle de Troie, elle retarde sur celle de Mycènes et de Tirynthe. Le métal, si commun à Mycènes, est encore rare à Théra ; comme à Troie, on s’y sert presque uniquement d’outils de pierre. Il y a bien, dans les formes et dans les motifs, une certaine affinité entre la céramique de Mycènes et celle de Théra ; mais celle-ci est, à tous égards, bien moins développée et moins variée. L’industrie de Théra tient donc le milieu entre celle de Troie et celle de Mycènes.

Dans plusieurs autres îles de l’archipel, en Crète, à Rhodes, à Carpathos, à Amorgos, à Oliaros, à Mélos et ailleurs encore, on a recueilli des figurines, des vases, des ustensiles et des bijoux qui portent l’empreinte du style mycénien, mais ce style y a moins de richesse et de diversité que dans les objets qui proviennent de la terre ferme d’Europe. On est ainsi amené à se demander si ce n’est pas dans ce monde insulaire que ce style est né, qu’il a pris le goût de certaines formes et ébauché ses types favoris. Ce qui fait la vraisemblance de cette hypothèse, c’est l’insistance avec laquelle il cherche des modèles dans la flore et dans la faune marine. Cette idée n’a pu venir, ce semble, qu’à des hommes qui vivaient