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situation et de la couleur qui vous étonne et vous subjugue. Vous n’êtes point ici dans un théâtre ordinaire ! La tenue, la démarche, les gestes, les attitudes, tout est calculé et réglé avec minutie, avec amour, en vue d’une impression religieuse à produire. Les écuyers de la suite d’Amfortas vous ont une façon de s’agenouiller et de faire leur prière qui impose aux plus indifférens. En présence du cortège funèbre rendant les derniers honneurs à l’oiseau sacré qu’a frappé étourdiment la flèche de Parsifal, nul ne sent le sourire lui monter aux lèvres : chez les plus blasés et les plus sceptiques, le prestige du spectacle a maté la gouaillerie impuissante. Ce premier tableau, consacré tout entier à l’exposition du sujet, paraîtrait un peu long peut-être… Mais il contient de si belles envolées musicales ! En même temps que se posent poétiquement les premières assises du drame, l’orchestre expose dans une langue éloquente, au coloris chatoyant, aux entrelacemens ineffables, les principaux thèmes de l’ouvrage ; celui du Dieu caché dans le mystère d’amour ; celui de la séduction et du rire sarcastique de Koundry ; celui qui caractérise le héros attendu ! ..

Ce début est gros de promesses : il fait pressentir qu’on va s’acheminer bientôt vers le pays des merveilles, en pleine révélation, en plein idéal.

J’ai dit l’immense impression produite à la fin du premier tableau par le « truc » qui conduit le spectateur jusqu’à Monsalvat en lui faisant traverser des montagnes solitaires et de sauvages régions. La fusion de l’effet musical et de l’effet du décor inspire au spectateur une angoisse sacrée ; il est bouleversé par ces perspectives inconnues, par ces sonorités inouïes, par le timbre des cloches, entendu d’abord dans le lointain, qui se rapproche peu à peu et annonce le voisinage du sanctuaire. De l’obscurité profonde où la scène est plongée surgissent des contours indécis, des formes vagues… Puis l’apparition prend corps : l’œil distingue de plus en plus nettement la colonnade supportant la coupole du temple ; et la salle mystérieuse du Graal émerge des ténèbres, comme si l’imagination du spectateur en engendrait la merveilleuse vision. Tout ce qui va suivre jusqu’à la fin de l’acte est indescriptible et sublime. La scène du Graal est d’un bout à l’autre l’expression la plus transcendante de l’art lyrique moderne. Tout est prodigieux et nouveau : conception, musique, mise en scène. Dans maint opéra se rencontrent des scènes que j’admire profondément ! Jamais, selon moi, avant Wagner, on n’avait compris si bien ce qu’un geste, une pose ou une évolution collective coïncidant avec telle intention musicale, soulignant et ponctuant telle phrase d’orchestre ou de chant, peut donner de renfort à l’ex-