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portraits ; ils ont indiqué jusqu’aux poils des sourcils et des cils ; mais ces masques diffèrent trop entre eux et l’imitation des traits de la face y est trop sommaire pour que l’on puisse en rien conclure. Ce qu’ils nous apprennent, c’est que l’on portait alors toute la barbe. Sur les intailles, les images sont si petites que l’on n’y distingue pas la coupe du visage. Les idoles de pierre et de terre cuite sont d’une rudesse que l’on a peine à imaginer. Si l’on a chance de trouver quelque part des données utiles, c’est dans des monumens qui paraissent représenter l’état le plus avancé de l’art mycénien, dans les peintures murales, dans certains tessons de vases, surtout dans les plaques d’ivoire et les coupes de métal. Quelques têtes prêtent à dos observations curieuses. On y voit que, vers la fin de la période mycénienne, le rasoir abattait autour des lèvres la barbe qui se portait en collier ; sous le menton elle s’allongeait en pointe. Ce qui est plus digne encore d’attention, c’est que, dans ces têtes, on retrouve ce que nous appelons le profil grec. Le front et le nez dessinent une ligne presque droite, où une courbure à peine sensible marque la naissance du nez. Nous n’avons aucune raison de croire que le sculpteur n’ait pas copié fidèlement ce qu’il avait sous les yeux. Les monumens de la plastique, sans trancher la question, seraient donc plutôt favorables à l’hypothèse d’après laquelle les Grecs de l’âge classique descendraient en droite ligne des créateurs de la civilisation mycénienne.

Cette hypothèse prend une bien autre vraisemblance lorsqu’on étudie les poèmes homériques à la lumière des découvertes récentes. L’Iliade est une de ces épopées que l’on appelle historiques, parce que, comme la Chanson de Roland, elles enveloppent un noyau d’histoire caché sous le riche et merveilleux tissu ourdi par l’imagination du poète. Ces données positives forment comme la trame du canevas sur lequel la fantaisie a jeté le luxe de ses étincelantes et capricieuses broderies. Or entre les données de cette espèce que renferment l’Iliade et l’Odyssée, d’une part, et, de l’autre, les résultats des dernières fouilles, il y a pleine concordance. Le passé qui projette son reflet sur les tableaux de l’épopée se caractérise par des traits que nous retrouvons dans ce monde préhomérique, qui, réveillé par la voix de Schliemann, s’est levé de la tombe où il dormait.

Voici d’abord une rencontre vraiment curieuse : les villes qui figurent au premier plan sur la scène de l’épopée sont justement celles dont le site offrait à l’œil du voyageur les plus beaux restes de cette architecture à laquelle les Grecs eux-mêmes attribuaient une antiquité très reculée, celles aussi dont le sous-sol a fourni les