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une, qu’elle s’évanouit. L’artiste se résigne à une seconde qui passe de même, et tandis qu’il court après les deux premières, une troisième illumine la scène en invitant son regard. On dirait d’une troupe de lutins ou de naïades qui l’attirent tour à tour en faisant miroiter mille trésors divers et qui déconcertent sa poursuite en se croisant devant lui et en se recroisant à travers les inextricables labyrinthes d’une forêt de rêve.


Stringebam brachia, sed jam amiseram quam tenebam.


Combien de fois l’artiste n’a-t-il pas souhaité le pouvoir de Josué, ou quelque don magique d’immobiliser un instant le nuage qui passe sur les monts en projetant sur la plaine une ombre heureuse, ou le frémissement d’une brise qui moire furtivement les eaux du lac ! Ce prodige n’est plus impossible. Le Josué d’aujourd’hui, c’est le Kodak, mais à condition qu’on sache s’en servir. Certes, il est beau de dire, dans des prospectus, que pour faire un chef d’œuvre, il suffit : 1° de tirer une corde ; 2° de tourner une clé ; 3° de presser un bouton. Nous croyons qu’un peu d’éducation esthétique ne gâtera rien à cette corde, à cette clé et à ce bouton. Pour ne toucher qu’un point, la question d’éclairage n’a pas une moindre importance pour le photographe que pour l’artiste. Elle en a même davantage, puisqu’ici le ton remplace totalement la couleur. Savoir « prendre le soleil » est un art véritable où un peu de hardiesse ne nuit pas. Il fut un temps, dit très bien M. Robinson, où l’on semblait commettre une hérésie en choisissant une vue dans laquelle le soleil était placé en face de l’objectif. Mais aujourd’hui l’on revient de ces conventions qui empêchent l’individualisme de l’opérateur de se faire jour. M. Robinson a obtenu d’excellentes photographies, en ayant le soleil en face de lui. Ce n’est pas la seule occasion dans laquelle cet artiste ait montré à tous les amateurs le moyen de rendre leurs œuvres plus intéressantes. Il a beaucoup étudié le rôle des ciels dans le paysage et, grâce à ses conseils, nombre de photographes proscrivent enfin cette masse blanche, ce vide absolu qui a si longtemps déshonoré l’étage supérieur des vues de plein air. Soit qu’ils peignent artistement leurs négatifs comme les Anglais, MM. Redford, England, Mudd, soit qu’ils s’astreignent à épier un ciel favorable pour le reproduire ensuite au-dessus de tel ou tel paysage, les hommes de goût nous donnent aujourd’hui des vues complètes aux tonalités harmonieusement équilibrées. M. Robinson compose aussi de vrais tableaux en groupant des jeunes filles du monde déguisées en paysannes dans un champ, sur le bord d’un chemin,