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de l’autre côté de l’Atlantique : Abe-Edginton, Mahoruch et surtout Sallie-Gardner. On les lança à la vitesse de 1,142 mètres par minute. Le pas, le trot, les galops à divers temps, furent successivement étudiés, et bientôt un premier recueil d’images instantanées vint révéler à ceux qui se croyaient le mieux informés quelles poses prend un cheval pour sauter une barrière ou pour traîner un phaéton. Les photographies obtenues n’étaient alors que de simples silhouettes noires se détachant sur un fond blanc, comme des ombres chinoises. Dans la suite, les méthodes de M. Muybridge se sont perfectionnées, et, grâce aux subsides de l’Université de Pensylvanie, il a pu donner à ses expériences une plus grande importance. Toute l’arche de Noé a défilé sur la piste de Californie. On y a vu des hommes luttant et maniant divers outils, des femmes courant, des singes gambadant, des éléphans se dandinant, des volatiles de toute sorte traversant l’espace. On en a gardé non plus de simples silhouettes, mais, cette fois, des images complètes auxquelles ne manquent ni le détail, ni le modelé. La collection de M. Muybridge comprend aujourd’hui 20,000 photographies, ne représentant pas moins de 781 sujets différens, et cet énorme procès-verbal de toutes les attitudes humaines et animales est tout simplement le plus formidable réquisitoire que puisse dresser contre l’art des anciens le réalisme contemporain. D’autant que nos compatriotes n’ont pas voulu demeurer en arrière dans une si belle aventure. M. le docteur Marey, de l’Institut, a vu dans ces recherches un précieux moyen de déterminer scientifiquement les lois de la locomotion. Avec un seul appareil contenant une bande pelliculaire qui se déplace et un disque tournant en avant de la plaque, muni de fenêtres régulièrement espacées, M. Marey obtient plusieurs images du même être en mouvement, prises à des intervalles très rapprochés, mais absolument réguliers. M. Démeny et plusieurs autres spécialistes suivent cette voie avec succès, et leurs travaux, joints à ceux de M. Muybridge, permettent de porter un jugement d’ensemble sur les résultats de la science nouvelle.

L’examen de ces épreuves démontre tout d’abord l’ignorance de la plupart des peintres de chevaux et la fausseté des attitudes qu’ils ont données à ces animaux. Si haut que l’on remonte, si grands que soient les maîtres qu’on étudie, fussent-ils Raphaël et Léonard, on fera la même remarque. Presque jamais cheval n’a galopé dans un tableau ou sur un bas-relief comme dans les prés ou sur les routes. Il n’était peut-être pas besoin de la chronophotographie pour nous l’apprendre, ni pour nous avertir de l’incorrection des coursiers de Le Brun ou de Parrocel ou du Bamboche. Dès le XVIIe siècle, Solleysel, « écuyer ordinaire de la grande écurie du