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dix années de guerre, malgré de brillans succès, il mourut, comme son père, fugitif et dépossédé. L’épisode de sa traversée de l’Indus à la nage, sous les yeux de Dchinghiz-Khan lui-même, après sa défaite sur les bords de ce fleuve, en 1220, est resté célèbre dans le cycle des légendes héroïques de l’Orient. On peut la mettre en parallèle avec la fuite de César, traversant à la nage un bras de mer, près d’Alexandrie, sous une grêle de flèches, en se couvrant de son bouclier. Mais le souverain turkmène, raconte la tradition, s’arrêta maintes fois en s’exposant aux coups, pour décocher lui-même des flèches sur ceux qui le poursuivaient. Dchinghiz-Khan, touché de son courage, ordonna, dit-on, de le laisser échapper. Ce monarque oriental qui, vaincu et réduit à fuir, risquait sa dernière chance de salut pour le plaisir de faire un beau coup de flèche contre toute une armée, était en somme, dans son cadre barbare et lointain, le digne émule de ses contemporains, les preux chevaliers de notre moyen âge. Prise par Dchinghiz-Khan en 1219, Samarkande fut après lui, lors du partage de son héritage, comprise dans le lot de Djaggataï, son fils. Puis elle subit pendant plus d’un siècle les vicissitudes et les dévastations résultant des démembremens de l’empire mongol, jusqu’au moment où Tamerlan la restaura, au XIVe siècle, l’embellit par d’immenses travaux et la porta à la plus grande splendeur qu’elle ait jamais atteinte, en en faisant la capitale de tous ses États.

Samarkande garda son rang sous Chah-Rokh, fils de Timour, et sous Ouloug-Beg, son petit-fils ; puis les dissensions et les guerres intestines des Timourides suivans ne tardèrent pas à amoindrir son importance. Elle fut conquise à plusieurs reprises par les Uzbegs et par divers descendans de Timour qui se l’arrachèrent, saccagée par les uns comme par les autres, et finalement elle ne fit que déchoir de plus en plus jusqu’à nos jours.

Pendant les derniers temps, elle fut réduite au rang de seconde capitale des émirs de Boukhara, jusqu’au moment où elle fut prise par les Russes en 1868. Déjà elle ne comptait plus, comme aujourd’hui, que 60,000 habitans, en y comprenant la population de ses faubourgs, qui, bien que partiellement compris dans les anciennes limites de l’enceinte fortifiée, ne forment plus que de petits groupes de population isolés les uns des autres dans l’oasis.

Peut-être sous la domination des Russes, qui en ont fait la capitale de l’une de leurs trois provinces du Turkestan, Samarkande, tant de lois ruinée et tant de lois relevée de ses ruines, va-t-elle redevenir, comme plusieurs le lui prédisent, la métropole de tout l’Orient.

Dans l’antagonisme qui existe entre elle et Boukhara, par suite