Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deviendront entre ses mains des agens d’expression concourant à l’unité dramatique. Le « truc » ne sera plus un hors-d’œuvre, juxtaposé à l’action : plus de patineurs de Munster, plus de cascade de Ploërmel. Il acquerra une valeur esthétique, il servira directement la pensée du poète en donnant une plus-value d’impression à l’œuvre d’art. Dans la scène du Graal, de Parsifal, au moment où la lumière miraculeuse descend de la coupole et embrase d’une pourpre éclatante le calice sacré, l’effet produit par les rayons lumineux est d’une très grande intensité, parce qu’il coïncide avec l’apogée de l’impression dramatique et musicale. Plus ingénieux et plus nouveau est le truc du « décor qui marche » dans le même opéra. À la fin du premier tableau, lorsque Gournemans et Parsifal paraissent cheminer vers le burg du Graal, ils piétinent sur place, et c’est le décor qui se met en mouvement. Le spectateur voit se dérouler devant lui une succession de sites grandioses : forêts, masses rocheuses, galeries taillées dans le roc. La scène s’assombrit graduellement, et, des ténèbres qui l’envahissent, on voit se dégager peu à peu l’architecture du temple. Une musique inouïe accompagne la marche des deux voyageurs ; mais elle ne suffirait pas, malgré sa prodigieuse beauté, à mettre le spectateur « au point » sans le prestige du décor. L’étonnement, l’effroi religieux où nous plongent ce déplacement merveilleux, cette lumière décroissante et ces ténèbres s’associent à l’impression musicale pour nous donner l’appétit du mystère. Il fallait le moyen matériel imaginé par Wagner pour préparer le spectateur aux sublimités de la scène du Graal et l’élever à la compréhension du divin.

L’apparition de la lune à la fin du deuxième acte des Maîtres Chanteurs est d’un à-propos dramatique non moins saisissant. Après le formidable tohu-bohu de ce quartier réveillé en sursaut dont tous les habitans affolés se poursuivent par les places, par les rues, se ruant les uns sur les autres, se bousculant, se battant ; après que chacun est rentré chez soi et que le calme est enfin revenu, le veilleur de nuit paraît, il souille dans sa trompe ; et, par-dessus les grands toits pointus, la lune de Nuremberg se montre, stupéfaite du vacarme insolite qui s’est produit dans la plus paisible des cités d’Allemagne. C’est là une trouvaille ! c’est là un truc vraiment génial !

Là où sa propre activité pouvait se produire, Wagner a supprimé toutes les collaborations et endossé toutes les responsabilités. Mais s’il est devenu son propre architecte, son metteur en scène, son machiniste, il ne lui était pas permis de se substituer aux interprètes musicaux : instrumentistes et chanteurs. Ne pou-