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d’un chœur vivant et agissant à la façon d’un personnage ; mais, après quelques résultats trop passagers, la routine venait de nouveau l’emporter sur l’art. Les représentations de Bayreuth démontrent que ces exceptions heureuses peuvent devenir la règle. Là, le chœur ne concourt pas seulement à l’interprétation musicale, il s’intéresse à l’action ; il exprime les sentimens qu’il ressent non-seulement par le moyen des sons, mais par la mimique et par le mouvement. Il n’afflige plus le regard en lui offrant la régularité automatique d’un régiment divisé en quatre sections : sopranos, contraltos, ténors et basses. Son attitude est plus variée, plus souple et plus libre. Les lois du pittoresque ou de la vraisemblance scénique l’emportent sur le classement par numéro matricule ou par catégorie de voix. Le second acte de Tannhäuser m’en fournit un exemple. Quand les invités du landgrave arrivent, ils se présentent successivement par groupes : chaque groupe représentant une famille, la vraisemblance exige qu’il contienne différentes natures de voix ; pour assister à la lutte des chanteurs, tous les groupes vont se ranger sur l’estrade, « sans se confondre ; » il en résulte dans l’ensemble du personnel choral un mélange des différentes espèces de voix. L’interprétation de la « marche » n’en est pas moins admirable de sûreté et de vigueur. Pendant l’exécution de ce morceau, les choristes ne chantent pas « face au public. » Il en est de même au dernier acte des Maîtres Chanteurs, où le chœur est entièrement tourné vers l’estrade occupée par les juges et chante placé « de profil » par rapport au spectateur. La sonorité ne s’en trouve pas pour cela amoindrie : on ne saurait la rêver plus nourrie et plus éclatante. Il est vrai, je le répète, que l’acoustique de la salle est excellente, sa grandeur moyenne ; et de plus les choristes ne chantent jamais mollement.

Après avoir signalé les améliorations apportées à la mise en scène des artistes et des chœurs, il serait injuste de ne pas mentionner l’importance toute nouvelle que Wagner a réservée à la pantomime dans ses productions. Des passages parfois développés, où la symphonie intervient seule, soulignant et commentant les gestes des personnages, sont d’un effet saisissant. Rien ne saurait égaler l’éloquence de ces conversations « muettes : » justifiées par la situation, elles vous impressionnent plus que ne le feraient les plus belles phrases de chant.

Wagner est son propre machiniste. Le grand réformateur qui s’est proposé pour but de rendre sa conception sensible et irrésistible, en empruntant le secours de tous les arts, ne pouvait négliger aucun des engins dont dispose le riche outillage de la machinerie moderne. Mais les engins de machiniste, les décors et les « trucs »