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colossales ou des dessins géométriques qui se détachent sobrement sur un champ mat formé par les briques non vernissées auxquelles on a simplement laissé leur couleur naturelle. Celle-ci est d’un jaune rosé fort agréable à l’œil. L’effet d’ensemble est harmonieux et la ruine énorme se colore, le matin aussi bien qu’au soleil couchant, de nuances étranges dont la délicatesse ne nuit en rien à l’aspect sévère et majestueux de la grande silhouette du monument.

La vaste cour située entre le bâtiment central et l’avant-portique est semée de quelques ruines. Parmi elles, on remarque un pupitre monumental en marbre blanc grisâtre, couvert de riches ciselures et encore bien conservé. Jusqu’à ces dernières années, il servait, les jours de fête, à présenter à la vue des fidèles le grand manuscrit du Coran, large de près de trois mètres, et que l’on conserve dans une autre mosquée dont il sera question plus loin.

Dans cette même enceinte se voit encore un portail de marbre blanc, admirablement ouvragé, et dont toutes les sculptures sont encore intactes. Il faisait partie de quelque monument ou de quelque mur de clôture aujourd’hui rasé. Cette porte, qui n’a que quelques mètres de hauteur et dont tous les blocs sont soigneusement taillés et ajustés, pourrait, sans difficulté, être démontée et transportée par pièces dans un musée d’Europe, où elle serait peut-être plus en sûreté que dans sa place actuelle. Il n’y manque qu’un seul cube de marbre, qui formait le couronnement de l’un des angles supérieurs et qui a été emporté, sans doute, par quelque admirateur peu scrupuleux.


IV. — LE GOUR-ÉMIR.

Le tombeau de Tamerlan, le Gour-Emir ou « Tombeau du chef, » comme on l’appelle à Samarkande, est, sinon le plus remarquable en réalité parmi les monumens de la ville, du moins celui dont il a été le plus souvent parlé en Europe. Le dôme qui abrite cette sépulture est construit au sommet d’une ondulation de terrain, un peu en dehors de la ville indigène actuelle, au sud-ouest de celle-ci, et à environ deux kilomètres du Reghistan, auquel il est réuni par une large avenue tracée en ligne droite, malgré un profond ravin qui les sépare. La perspective y gagne, si la viabilité y perd, car cette grande voie, bordée d’arbres, incessamment parcourue par d’innombrables cavaliers et piétons, ainsi que par de nombreuses charrettes indigènes, et qui plonge au fond d’une vallée pour remonter tout droit sur l’autre versant jusqu’à l’imposante masse architecturale du Reghistan, forme un tableau animé et pittoresque. La ville nouvelle, que les Russes ont construite,