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dans les montagnes colossales, dans les monumens énormes. Ce n’est pas que le sens de la couleur lasse défaut aux artistes de ces contrées. Ils en ont au contraire l’instinct à un haut degré ; on le voit par la décoration de leurs monumens, par les costumes, par les manuscrits, par leurs œuvres de toute nature. Mais le résultat de leurs efforts est promptement effacé sous l’irrésistible action des intempéries d’un climat excessif et sous la poussière grise qui, pendant la longue durée d’un été sans traces d’humidité, couvre d’une couche épaisse le centre de l’Asie et parcourt en tourbillons les immenses plaines de la Tartarie, dont le sol, formé de lœss, devient si facilement pulvérulent sous l’influence de la sécheresse. Cette poussière revêt tout d’une enduit tenace : les constructions, les paysages eux-mêmes, les gens, les animaux, et jusqu’aux feuilles des arbres. Malgré ces circonstances défavorables, malgré la suppression de cet élément si important de séduction, la couleur, les monumens de l’art de ces pays sont assez grandioses et assez bien construits pour forcer notre admiration et nous intéresser au plus haut point, même à travers les intempéries d’un hiver ou d’un été extrêmes, même lorsque sur la steppe morne, — à travers une atmosphère rendue opaque par les nuées de poussière, que, pendant huit mois chaque année, rien ne peut dissiper, — le soleil lourd et brûlant de la vieille Asie éclaire mal, d’une lueur brutale et sinistre, les débris des vieilles civilisations mongoles.


II. — LE REGHISTAN.

Il est assez difficile de donner une description topographique et architecturale de Samarkande. Bien que la ville soit aujourd’hui en ruines, les monumens qui y subsistent sont encore si nombreux et si considérables que l’on ne saurait, sans tomber dans la monotonie, entreprendre de les passer en revue et de les décrire tous, même en simple esquisse. D’autre part, le plan primitif est bien difficile à démêler sous les constructions parasites, les décombres et les plantations récentes ; de l’ancienne cité il ne subsiste plus guère que des fragmens épars.

Toutefois nous pouvons dire que le centre de la ville est le Reghistan. On nomme ainsi une grande place, de forme carrée, qui occupe le sommet d’une colline à pentes très adoucies et qui domine toute la plaine environnante. Cette place est encadrée de trois côtés par trois monumens importans, trois médressés qui, bien qu’en ruines, ont encore une silhouette imposante et sont encore utilisés pour le culte. Les édifices auxquels, en Asie centrale, on donne ce nom de médressés, sont à peu près