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un peu froid d’un auditoire de concert. Mais le spectateur qui demande au théâtre des émotions d’art ne regrettera ni ces galeries trop élégamment peuplées pour ne pas créer une concurrence au spectacle, ni ces loges qui, en rapprochant des amis, — souvent trop expansifs, — mettent à la torture ceux qui voudraient écouter. À Bayreuth, l’intérêt pour le spectateur n’est pas dans la salle, mais sur la scène. Pas plus au dedans qu’au dehors, l’architecte n’a sacrifié au plaisir des yeux les légitimes exigences de l’art.

Certains architectes de renom ont émis l’opinion, parfois intéressée, que la bonne acoustique d’une salle est un simple effet du hasard. Sans être architecte, chacun peut observer que les salles très richement décorées, surchargées de tentures, à parois présentant des surfaces peu simples, à plafond extrêmement élevé, sont en général défavorables à la musique. L’acoustique du théâtre de Bayreuth vient confirmer la justesse de ces observations : pas luxueuse, très peu décorée, très simple dans ses contours, d’une hauteur de plafond modeste, elle est en même temps d’une sonorité idéale. Ajoutons qu’elle est de dimension « modérée. » Certains théâtres, celui de la Scala entre autres, contiennent plus de 3 000 personnes. Dans celui de Bayreuth il y a place seulement pour 1 650 spectateurs, mais toutes les places sont bonnes ; de partout l’on voit et l’on entend excellemment : si, sur les gradins du bas, on a l’avantage d’être plus rapproché de la scène, en revanche sur les gradins supérieurs on est plus isolé et plus soumis encore à l’attraction et à l’illusion dramatiques. Dès les premières mesures attaquées par l’orchestre, on reconnaît qu’au point de vue acoustique l’autocratie de Wagner ne l’a pas mal servi et que le « hasard » ne lui a pas joué de mauvais tour.

L’orchestre de Bayreuth est entièrement invisible pour le spectateur. La partie antérieure (celle qui touche à la salle) est masquée par une sorte de toiture en zinc qui recouvre le chef d’orchestre et les premiers rangs du quatuor. La cavité où sont placés les instrumentistes s’étend en se creusant jusque sous la scène. Entre la scène et le toit de zinc il y a un espace vide, donnant issue aux ondes sonores. Les instrumens bruyans sont placés tout au fond, dans la partie entièrement recouverte par le plancher de la scène qui forme la mâchoire supérieure de cette bouche sonore. Le grand avantage de cette disposition est de permettre aux instrumentistes de jouer fort, sans que jamais la voix du chanteur cesse d’être entendue. À Bayreuth, même dans ses emportemens et ses colères, l’orchestre de Wagner, aux intensités inouïes, aux sonorités ultrasomptueuses, ne couvre jamais la voix. Cette subordination de l’élément instrumental à la partie vocale, qu’il faut des trésors de