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qui passe vingt ans le long d’un mur pour en protéger la peinture fraîche, et y demeure encore lorsque la peinture est partie, lavée par les pluies, sans laisser de trace. Alors, ne sachant plus pourquoi il est là, on n’ose l’enlever, crainte de quelque inconvénient inconnu. On le respecte comme une chose ancienne. « Ce qui existe depuis longtemps, dit la tradition, doit avoir quelque bon motif d’exister, il n’y faut pas toucher. » En pareil cas, l’ancien régime laissait toujours le factionnaire, et il avait fini par en être encombré.

Tandis que les nouveaux riches, qu’ils soient de noble ou de roturière extraction, se créent de 1600 à 1789, de vastes domaines, en rachetant parcelle à parcelle tout ce qu’avaient aliéné les détenteurs du sol au temps de saint Louis, une masse d’anciens châteaux, non habités pendant des demi- siècles, et auxquels on ne faisait que peu ou point de réparations, tombaient en ruines. Les laboureurs riverains mordent tant qu’ils peuvent sur leurs dépendances. Là où le maître ne réside pas, et c’est le cas de beaucoup de belles demeures, vidées par l’absentéisme, les lambris seigneuriaux n’abritent que les métayers, leurs bestiaux et leurs fourrages. On signale sans cesse, au XVIIIe siècle, ce qu’on appelle une « masure de château, » une « cour appelée le château abbatial ; » les paysans y vont subrepticement prendre des pierres. C’est le vestige d’un temps disparu. En 1749 a lieu la visite et inventaire de la terre de Pompadour, appartenant à « madame la marquise. » Dans ce château superbe, entouré de murs et de fossés, composé de trois corps de logis, tours, tourelles, pavillons, chapelle, écuries, terrasses, « nous avons trouvé, disent les rédacteurs de l’acte, une vache, une jument poulinière et vingt moutons. »

Prompts à profiter de la négligence des créanciers, les débiteurs de droits féodaux en esquivent à qui mieux mieux le paiement. Dès 1614, la noblesse se plaignait, aux états-généraux, de la fréquente omission, dans les cahiers des charges ou affiches de vente, des services fonciers dus au seigneur, de sorte qu’à la deuxième ou troisième mutation de la propriété, l’acquéreur pouvait croire la terre affranchie de toute obligation féodale. Dans le midi, où l’on n’admet pas la maxime : « nulle terre sans seigneur, » toute terre jusqu’à preuve du contraire était présumée libre, et ne payait, en cas de mutation, ni les « lods et ventes » du sol roturier, ni les « quints et requints » du sol noble. On eut beau plaider avec acharnement jusqu’à la fin du XVIIIe siècle sur cette question, dite du « franc-alleu, » la jurisprudence ne varia pas. Or, elle était éminemment favorable au tenancier.

Forbonnais, dans ses Recherches, signale vers 1750 beaucoup de nobles et d’anoblis réduits à une pauvreté extrême avec des