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La dépossession du paysan est contemporaine des progrès de l’agriculture ; plus l’état matériel du pays fut avancé, plus l’aristocratie revendiqua comme un monopole l’exercice d’un sport qui lui avait été jadis imposé comme une corvée. Dès le début du XVIe siècle, le gros gibier commença à se faire rare (le duc de Bretagne fait élever, en 1481, dans ses forêts, des sangliers de race espagnole) ; devenant plus rare, il sera plus disputé. Un arrêt du parlement de Dijon, de 1497, dans un procès entre un abbé et ses vassaux, donne au premier le droit exclusif de chasse et de pêche ; ce qui prouve qu’auparavant il ne l’avait pas. Parmi les solitudes de la Marche et du Limousin, Jacques Bonhomme parvient encore à se défendre : jusqu’à la révolution, les habitans d’Aubusson conservèrent le droit de chasser dans la forêt de ce nom « à cor et à cris et avec armes à feu ; » ceux de la juridiction d’Eymet continueront, dit une charte de 1519, à pouvoir chasser « sans contradiction du seigneur ni d’aucun autre. » En revanche, dans telle commune de Provence où la chasse était entièrement libre en 1450, elle ne l’est plus en 1550 qu’à l’arbalète, et les perdrix sont formellement exceptées de l’autorisation.

Les paysans alsaciens, dans leur révolte de 1525, réclamaient la liberté de la chasse comme un héritage paternel dont ils avaient été injustement dépouillés. Là aussi, la chasse venait de devenir une prérogative seigneuriale : le landgrave d’Alsace, les comtes de Hanau et des Deux-Ponts déclarent, en 1501, que « pour mettre un terme aux abus du commun peuple qui se livre de toutes manières à la chasse, en négligeant son travail ; ce qui conduit les hommes à la misère et ne laisse aucune trêve au gibier, » ils ont décrété que, désormais, tout individu bourgeois ou paysan doit renoncer à ce passe-temps. Naturellement une pareille prétention ne s’établit pas sans lutte ; dans certains districts, comme Ribeaupierre, ce ne fut qu’en 1564 que le seigneur parvint à interdire la chasse à ses gens. Dès 1514 paraissait, en Brabant et en Flandre, une ordonnance de Charles-Quint prohibitive de la chasse ; on envoya les « braconniers » aux galères, on leur coupa l’oreille ; violation formelle du pacte provincial, par lequel ces Brabançons, que l’on traitait de braconniers, jouissaient du droit de poursuivre toute espèce de bêtes dans l’étendue du duché.

Des lettres patentes de 1611 confirment encore aux bourgeois de Langres la permission de chasser aux environs de cette ville, mais cette licence, qui eût semblé toute naturelle deux cents ans plus tôt, fait alors l’effet d’un anachronisme. La poursuite du gibier sera désormais exclusivement réservée aux gentilshommes, soit qu’ils s’y livrent eux-mêmes, soit qu’ils afferment leurs droits à un de leurs pareils à prix débattu ; petit prix du reste et qui ferait