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le seigneur à remplir en conscience cette mission de lieutenant de louveterie, ou de garde champêtre, les laboureurs proposent de lui donner quelques gratifications : une gerbe de blé ou d’avoine par tête d’habitant, s’il chasse pendant un temps plus long qu’il n’est féodalement tenu de le faire. Dans les provinces au contraire où la poursuite du gibier était un plaisir, voire un profit, plutôt qu’une nécessité agricole, certains engins commencent à être prohibés dès le XIVe siècle.

Mais on ne s’est pas encore avisé, dans la législation cynégétique, de distinguer le noble du roturier, ou du moins la distinction ne tire pas à conséquence : une ordonnance défend (1375) d’entrer dans le bois royal situé derrière le château de Perpignan, muni d’arbalète ou d’une arme quelconque, a sous peine, pour tout noble, de perdre la tête et, pour tout autre, d’être pendu. » Le juge de Taulignan (Drôme) déclare (1397) que « suivant l’ancienne coutume chacun pourra en tout temps chasser aux lièvres et perdrix, et que la chasse des lapins sera ouverte de trois en trois ans, depuis le 29 septembre jusqu’au commencement du carême. » Au siècle suivant (1471), dans cette commune, le seigneur et les habitans sont en querelle au sujet de cette dernière sorte de gibier. Ils confient à deux arbitres le soin de trancher leurs griefs. Les transactions se renouvellent, à raison d’une ou deux par siècle, pour pacifier entre les parties de semblables différends.

Les habitans de Versigny, en Champagne, ont droit absolu de chasse dans les bois qui les environnent ; des lettres de Charles VI ordonnent au bailli de Vermandois d’informer contre un gentilhomme qui prétendait les troubler dans leur jouissance (1408). La même année, les gens de Thiviers, en Périgord, sont maintenus dans le droit de chasser tous les animaux sauvages, en payant au vicomte de Limoges le tribut accoutumé. Ailleurs le seigneur a droit à l’épaule du cerf, à la tête du sanglier, à une redevance en nature sur le produit de la chasse ; mais il ne faut pas oublier que c’est le vilain qui fait les parts, sans aucun contrôle, et qu’il donne ce qu’il veut.

Soit que la liberté de la chasse ait été considérée longtemps comme un droit naturel, patrimoine commun des citoyens, soit qu’il faille y voir, principalement au midi de la France, un reste du droit romain, soit enfin, — et ceci parait le plus probable, — que personne ne se fût avisé d’y apporter de restrictions, au temps où les bois couvraient un territoire immense, où le gibier, exagérément prolifique, était plutôt un fléau, où la population était peu dense et les armes à feu non encore inventées, le fait est que la chasse demeura libre au moyen âge.