Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/776

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nationale, dans l’état de délabrement où quatre siècles de civilisation les avaient mis, bien maigres pour la plupart, vieillis, ridicules, honteux d’eux-mêmes et désavoués en quelque sorte par ceux qui en jouissaient, ces droits féodaux avaient été un progrès jadis ; ils avaient la supériorité de la redevance fixe sur la redevance capricieuse, « réitérable, » qu’ils remplaçaient. Sous le règne de la taille ou dîme arbitraire, le fruit des améliorations apportées par le vilain à la terre qu’il cultivait, à la ville où il résidait, profitait presque exclusivement au propriétaire, dont les exigences augmentaient avec la possibilité de les satisfaire. Au contraire, après la mise en vigueur des conventions nouvelles, cantonné dans une part invariable, le seigneur vit ses revenus décroître et ne participa plus qu’éventuellement aux plus-values de l’immeuble de ses vassaux.


I

Cette transformation radicale de la propriété foncière ne s’accomplit pas partout de la même manière. De là cette infinie variété des droits féodaux, qui offrent à la fois, les uns avec les autres, tant d’analogies et tant de dissemblances selon les localités : au milieu du XVe siècle, les hommes de la châtellenie de Gimel, en Limousin, se déclarent encore « mainmortables et taillables à merci » (ad voluntatem et pro voluntate) ; dans la même province, cent cinquante ans plus tard, les gens d’Égletons, relevant d’Anne de Ventadour, « s’avouent » aussi hommes « sujets, couchans et levans, guettables et exploitables à la volonté de mondit seigneur… »

Ceux-là sont au plus bas de l’échelle, il n’a jamais été rien stipulé de positif en leur faveur ; ils demeurent, sous Henri IV, dans le même état où leurs ancêtres étaient sous Philippe-Auguste. Théoriquement du moins, car pratiquement ils ont profité de l’air ambiant, de l’adoucissement apporté à la condition de leurs pareils, de l’esprit du temps qui n’admet plus la possession absolue de l’homme par l’homme, des progrès de l’autorité royale enfin, qui permet au monarque de revendiquer comme ses sujets, par-dessus la tête de leur seigneur, tous les bipèdes humains vivant sur le sol français.

Cette sorte d’individus qui n’ont dû compter, pour améliorer leur dépendance, que sur la marche générale des idées, sont, d’ailleurs, une exception. Petit à petit, dans le cours des siècles, des conventions avaient réglé, sur tout le territoire, le pouvoir des propriétaires nobles. Les profits qu’ils avaient conservés étaient directs ou indirects : les premiers portaient sur les gens ou sur les