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WAGNER À BAYREUTH








Wagner a dit avec raison : « Que ceux auxquels mes œuvres paraissent dignes d’attention viennent à Bayreuth ! » Il est tout à fait impossible ailleurs de se faire une juste idée de l’effet de ses drames musicaux. Wagner n’est pas seulement un poète-musicien ; il est encore architecte, metteur en scène, machiniste. Aucun détail dans l’organisme complexe d’un théâtre musical n’a échappé à son esprit de réforme ; toutes les pièces de cet immense outillage ont été fondues à nouveau dans le creuset de sa volonté implacable ; il a su organiser toutes les forces, les diriger à son gré et les coordonner afin d’assurer la manifestation exacte de sa pensée et la représentation véridique de ses conceptions.

D’ordinaire le compositeur dramatique subit, dans la mise au jour de son œuvre, des conditions qu’il n’a pas créées : celles du milieu, du local, de l’acoustique ; sans parler du concours obligé d’interprètes plus ou moins dévoués et de collaborateurs nombreux, serviteurs plus ou moins respectueux de sa pensée. Il dépend de son librettiste : la plus belle musique ne saurait faire vivre un opéra dont le poème est condamné ; — des chanteurs : l’absence d’une « étoile » sympathique au public peut compromettre ou retarder le succès d’un ouvrage ; — du chef d’orchestre : il suffit d’une altération dans les mouvemens ou d’un défaut d’ardeur dans l’interprétation pour dénaturer l’esprit d’une œuvre ; — du metteur en scène : la mise en scène d’opéra a sa tradition, ses « précédens, » et il est souvent impossible à l’auteur de ne pas s’y conformer, même s’il est convaincu qu’une infraction