Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/712

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez sérieuse est venu s’ajouter le dangereux roman de la diffamation et de la délation. Et c’est ainsi qu’avec quelques faits, objets d’une répression peut-être un peu tardive ou incohérente et un amas d’inventions, de polémiques bruyantes, on a fini par créer cette crise d’insalubrité dont notre pays français est positivement aujourd’hui aussi fatigué que dégoûté.

Eh bien, maintenant, il faut en finir, — avec la corruption sans doute, avec les coupables, puisqu’il y en a, mais aussi avec ces fureurs d’accusations et de commérages qui feraient croire qu’il n’y a en France que des corrupteurs et des corrompus. Un éminent avocat, dans une défense des administrateurs de Panama qui rappelle les grands jours du barreau, M. Barboux, disait récemment que « s’il ne faut jamais sacrifier au mensonge les droits de la vérité, il ne faut jamais non plus laisser la vérité prendre les allures du scandale. » C’est fait aujourd’hui autant que cela pourrait être fait : la vérité a pris les allures du scandale, au point d’offenser et d’inquiéter le pays dans tous ses instincts de loyauté et d’honneur. Le moment est venu de sortir de cette atmosphère pour rentrer dans la vérité et la clarté, dans les conditions d’une société régulière et saine. Que la justice, laissée à elle-même, à son impartialité et à son indépendance, remplisse sa mission ; qu’elle l’accomplisse sans faiblesse, qu’elle atteigne les coupables là où ils sont, rien de mieux, c’est son affaire. Que la politique aussi fasse son œuvre, et ce n’est pas, nous en convenons, la plus facile à l’heure qu’il est. L’œuvre de la politique, c’est de dissiper autant que possible les obscurités et les confusions, de défendre tout ce qui est ébranlé, de rendre au pays, à l’opinion, la sécurité et la confiance, de démêler en même temps ce qu’il y a de factice et ce qu’il y a de sérieux dans cette crise que traverse la France. M. le président du conseil, dans une des dernières discussions où on lui disputait les fonds secrets, n’a eu assurément que de bonnes paroles. Il a déclaré qu’après avoir accepté le pouvoir dans des conditions difficiles, il était décidé à l’exercer énergiquement, que le gouvernement ferait son devoir, « tout son devoir, pour gouverner, pour préserver l’ordre partout avec résolution et fermeté. » Il n’a point hésité à faire appel « à ceux qui veulent, avec lui, arriver au terme des agitations… qui veulent faire la lumière complète, entière, mais qui entendent maintenir en même temps dans le pays l’ordre nécessaire. » On ne demande pas mieux que de le croire et de le seconder dans la réalisation de ce programme. Ce serait seulement une bien singulière illusion que de ne pas se faire une idée nette des conditions dans lesquelles le gouvernement est désormais possible, de la signification des événemens au milieu desquels nous vivons.

S’il y a une chose sensible, en effet, c’est que ces événemens ont une bien autre portée qu’on ne l’a peut-être cru d’abord, que s’ils ont paru