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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier.

Ce n’est point, certes, toujours facile de se reconnaître, de démêler la vérité des sentimens publics dans toutes ces confusions du moment. S’il y a cependant un fait sensible, c’est qu’une inexprimable lassitude mêlée de dégoût commence à se répandre un peu partout, dans cette masse obscure, désintéressée et paisiblement laborieuse, étrangère à toutes ces agitations qui l’assourdissent sans l’éclairer et sans la servir. On en vient à se dire : est-ce que cela va durer longtemps ainsi, et veut-on nous faire vivre indéfiniment dans cette atmosphère de vices, de corruptions et de délations ? Est-ce qu’on ne voit pas qu’après avoir abusé le pays on finit par le fatiguer de cette monotone et irritante exhibition de toute sorte d’indignités et de faiblesses ?

Quoi donc ! voici plus de deux mois qu’on est à se débattre dans cet inextricable fouillis où semblent se concentrer toutes les misères du temps. Depuis deux mois, le ministère s’est déjà renouvelé deux ou trois fois pour suffire à une œuvre dont la direction lui échappe à tout instant. À côté du gouvernement, une commission d’enquête parlementaire passe ses jours à recueillir des témoignages, à suivre des perquisitions de police et des dépouillemens de petits papiers ou à attendre des communications. La justice, à son tour, est en mouvement et poursuit deux ou trois procès. Elle juge encore au moment présent les administrateurs de Panama et elle prépare le jugement des hommes publics, anciens ministres, députés ou sénateurs qui lui ont été livrés. Elle a déjà rendu trois ordonnances de non-lieu en maintenant une quinzaine d’accusés en prévention. On est encore là.