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REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra-Comique : Werther, drame lyrique en 4 actes, paroles de MM. Edouard Blau, Paul Milliet et George Hartmann ; musique de M. Massenet.

Aimez-vous le Massenet de Manon et de la Suite alsacienne ? Oui, n’est-ce pas, et beaucoup, car avec celui de Marie-Magdeleine et des Érinnyes, c’est le meilleur. Eh bien, c’est lui que nous venons de retrouver et qui s’est retrouvé lui-même. Dans son œuvre nouvelle et constamment exquise, les personnages, les caractères, les âmes enfin, sont traitées comme dans Manon : avec une sensibilité non moins délicate, et, le sujet le comportant, plus profonde, surtout plus douloureuse. Et les choses respirent une poésie pareille à la poésie des Scènes d’Alsace. Des deux côtés du fleuve, n’est-ce pas la même nature, et aujourd’hui, hélas ! le même pays ?

Le livret n’a pas été maladroitement tiré du roman de Goethe, qu’il défigure le moins possible. Et puis les poèmes extraits d’œuvres supérieures ont cet avantage, qu’on y sent passer quelquefois le souffle du génie inspirateur. Ici, par exemple, dans la spécieuse et lyrique apologie du suicide : « Quel est l’homme, quel est le père qui pourrait s’irriter de voir son fils, qu’il n’attendait pas, lui sauter au cou en s’écriant : Me voici, mon père, pardonne-moi si j’ai abrégé mon voyage, si je suis de retour avant le terme que tu m’avais prescrit… … Je ne suis bien qu’auprès de toi ; je veux souffrir et jouir en ta présence… Et toi, Père céleste et chéri, pourrais-tu repousser ton fils ! » Ainsi parle le héros du roman, et celui du drame musical ne chante guère autrement. Ailleurs encore, ce mouvement sublime, ce cri d’un immense et magnifique orgueil : « Prends le deuil, nature ; ton fils,