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l’Italie. Cela suffit pour que le comte, laissé à lui-même, à sa propre faiblesse, tombe ou retombe entre les mains avides d’une certaine Albertine de La Borde, qui le guettait. Il l’installe auprès de lui, dans l’hôtel, à la place abandonnée par ses enfans. Le jour où ceux-ci reviennent, André se présente chez son père ; il lui demande quelles sont pour l’avenir ses intentions et s’il a résolu de garder Albertine. Le comte le prenant de très haut, André lui déclare, non sans trouble : « Alors, mon père, je vous sauverai malgré vous… Je suis ici chez moi. — J’en sortirai donc, répond le comte, puisque tu m’en chasses ; reprends ton argent, je ne veux plus rien de toi ; va-t’en, non pas de cette maison qui t’appartient, mais de mon cœur que je t’avais donné tout entier, moi, et que je ne t’eusse jamais repris. » Et la brouille serait sans remède, et le comte, rejeté dans le désordre, y vieillirait jusqu’à la mort, s’il ne s’offrait à lui, André à peine sorti, une occasion inespérée de dévoûmens et d’héroïsme paternel. Quand je dis inespérée, j’ai tort, M. Dumas ayant au contraire préparé dès le début, et ménagé avec une adresse consommée cette péripétie décisive. André, en se mariant, avait dû rompre avec une maîtresse sentimentale, Mme de Prailles, « la dame en noir, » dont il est mainte fois question. Le comte s’était complaisamment entremis dans cette rupture ; mais, toujours pitoyable aux jolies femmes, il avait permis à celle-ci d’écrire de temps en temps à André, sous la seule condition d’adresser les lettres à lui-même, pour ne rien compromettre. Or une de ces lettres a été interceptée par M. de Prailles, le plus intraitable des maris, qui vient en personne remettre le billet à qui de droit. « À moi, » déclare le comte, qui prend pour lui la lettre et le duel à mort qui s’ensuivra.

Le cinquième acte arrange tout, M. de Prailles étant blessé comme il le faut et Albertine congédiée comme il le faut aussi, afin qu’André, fils excellent, n’ait plus qu’à tomber dans les bras de son excellent père. On tuera ce soir le veau gras, après avoir eu peur un instant qu’il ne mourût de vieillesse, et demain, pour épouser non plus une fillette, ni une fille, mais une sage et fidèle amie, Mme veuve Godefroy, qui ne demande qu’à faire son bonheur, le père prodigue revêtira la robe nuptiale.

En certaines de ses parties, les deux premiers actes surtout, la comédie de M. Dumas a paru lente. Ses trente-cinq ans en sont la cause et aussi ses interprètes actuels. Il va sans dire que cette lenteur n’est pas dans le dialogue, lequel va toujours comme le vent, mais dans l’action, dans l’exposition surtout, qui dure deux grands actes. Il est évident que le Père prodigue ne débute pas avec l’éclat de la Princesse George ou le brio de Francillon. Les personnages y prennent leur temps et ne nous disent assez vite ni ce qu’ils sont ni ce qu’ils feront.